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bonne chance. L’arc de triomphe élevé en l’honneur de la bataille de Fontenoy au sommet de la ville est une laide maçonnerie qui ne vaut pas un regard, et les vers de Voltaire, gravés sur ses pierres, sont bien, je crois, les plus mauvais qui aient jamais échappé au grand écrivain. S’il est des communeux dans la Nièvre qui éprouvent un jour le besoin de démolir quelque chose, on peut leur concéder cet arc de triomphe comme os à ronger ; les arts n’y perdront rien, et le souvenir de Fontenoy n’en restera pas moins dans notre histoire comme celui d’une bataille gagnée. Cet exécrable monument ouvre une longue rue marchande qui se prolonge jusqu’à l’extrémité de la ville et qu’il faut parcourir dans toute son étendue, car elle a vraiment du caractère. Avec sa voie spacieuse et cependant quelque peu sombre, ses maisons d’un dessin net et sec et d’un l’on brun légèrement enfumé, elle n’est ni jeune ni vieille, et ressemble à une bourgeoise bien posée qui a eu de la beauté et qui garde encore du charme, qui ne date pas précisément d’hier, mais pour qui aujourd’hui existe encore. Enfin Nevers possède un musée lapidaire établi dans une des anciennes portes, la porte du Croux ; si on a du temps de reste, on peut y aller passer deux ou trois heures plus innocentes que celles que le juge Dandin demandait au spectacle de la question, mais qui ne seront cependant pas sans fatigue, car rien ne lasse plus l’esprit qu’une promenade prolongée au milieu de ces ossemens du passé, disjoints la plupart du temps du corps dont ils faisaient partie. Aussi avec quelle joie d’enfant n’ai-je pas salué certaine décoration dont la bonne nature a gratifié l’extérieur de cette vieille porte, et que peu d’habitans de Nevers auront, je le crois, remarquée ! D’une des tourelles, il ne reste plus que la base en forme de coquille de colimaçon sur laquelle elle s’élevait ; or les pluies et les saisons ont, avec le secours du temps, comblé de sable et de pierre végétale le large orifice de cette coquille de pierre, en sorte qu’elle est devenue fertile, s’est épanouie, et présente le spectacle d’une énorme vasque remplie jusqu’aux bords de, hautes herbes et de fleurs sauvages. C’est sur cette fraîche impression que j’ai naguère quitté Nevers, et que je veux aujourd’hui arrêter mes souvenirs.


EMILE MONTEGDUT.