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ecclésiastique de l’autre. Peut-être en ce moment même et dans la condition d’esprit où se trouvent les citoyens et le bas clergé, laissés à eux-mêmes et à leur propre inspiration, la difficulté serait moindre en Italie que partout ailleurs. Il n’en est pas moins vrai que cette difficulté existe. Quoi qu’il en soit, si le photographe n’a représenté rien de très probable, on peut affirmer que son idée est des plus populaires, et qu’il n’y en a pas d’autre qui corresponde mieux au sentiment intime du pays ; les radicaux, les libéraux, les cléricaux fanatiques, seraient tous ensemble forcés de l’avouer, s’il y avait la plus petite chance qu’elle pût se réaliser. Un parti qui, sans abandonner aucun des droits de la nation, donnerait au pays cette perspective d’une conciliation vraie et durable ôterait pour longtemps à tout autre l’espoir de lui arracher des mains les rênes du gouvernement ; il y serait soutenu par une très grande majorité des collèges électoraux, et il faudrait beaucoup de temps pour que les partis auxquels un pareil accord semblerait nuisible à l’élan intellectuel et moral du pays pussent regagner quelque influence.

Le comte de Cavour l’avait senti : il avait espéré que cet accord se ferait, et de bonne heure, entre l’église et l’état ; il pensait qu’une opinion puissante l’exigerait à tout prix. Il ne doutait pas qu’une fois le gouvernement italien installé à Rome, — en supposant que le pape eût consenti à échanger un pouvoir temporel chancelant et vermoulu contre une liberté de l’église assurée et complète, — la majorité des députés serait devenue excessivement modérée et même cléricale, de telle sorte que lui, le chef du parti libéral, aurait dû aller siéger à l’extrême gauche. Cet avenir, le comte de Cavour le croyait non-seulement possible, mais prochain, et c’est avec tristesse qu’il pensait au moment où il lui faudrait quitter Turin pour se transporter dans la ville éternelle, car son esprit moderne et pratique était peu fait, disait-il, pour admirer les monumens de l’antiquité et peu sensible aux beaux-arts et à l’idéal. Au fond, il était plus rêveur qu’il ne s’en doutait : ce sentiment de tristesse et la pensée d’où il naissait en sont la meilleure preuve. Il fallait toute sa largeur d’esprit, il fallait avoir le cœur bien haut placé pour tomber dans l’erreur de supposer que la liberté de l’église était pour la curie romaine l’équivalent du pouvoir temporel. C’était une généreuse illusion de penser qu’il y aurait eu moyen de faire au pape, aux cardinaux, aux monsignori, des conditions qui pussent compenser à leurs yeux les avantages du gouvernement d’un état, tout réduit qu’il fût. D’ailleurs l’église romaine est convaincue qu’elle n’a que des droits envers le pouvoir civil et envers tout le monde ; même ses devoirs envers les fidèles ne peuvent avoir d’autre interprète et gardienne qu’elle-même. Ainsi cette liberté d’action qu’on voulait lui promettre en échange du pouvoir temporel n’est que le