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une vertu qui n’est et ne peut être appréciée que par ceux qui la possèdent[1].


V

En effet, il faut avouer que plusieurs causes ont rendu et rendent toujours plus difficile à la chambre italienne la modération si habile dont elle a donné tant de preuves. L’opiniâtreté de la cour de Rome est une de ces causes, et la première entre toutes. A la grande liberté que la loi des garanties lui a laissée dans la nomination des évêques, elle a répondu en élevant presque toujours à la dignité épiscopale les prêtres les moins sympathiques à l’indépendance de leur patrie, et en leur, défendant de présenter au gouvernement italien les bulles de nomination pour obtenir l’exequatur ; elle savait bien cependant qu’on se serait empressé de le leur accorder. De là dans tous les diocèses où les nouveaux évêques ont été envoyés, un état de choses très anormal, et qui, malgré toute la douceur et la bonne volonté du gouvernement italien, ne pourra pas durer indéfiniment. Tout cela est peu fait pour encourager ceux qui se flattaient d’introniser à Rome un système de relations entre l’église et l’état différent de celui qui a été suivi jusqu’ici en France, et inspiré de tout autres principes que celui qu’on vient d’inaugurer en Allemagne et en Suisse.

Il est pourtant naturel que l’exemple de ces deux pays tende à séduire le parlement italien et à le détourner d’une politique modérée et libérale. Néanmoins les systèmes introduits en Allemagne et en Suisse ne se ressemblent pas, et ils supposent d’ailleurs des conditions de fait et des précédens qui n’existent pas pour l’Italie. La dernière législation allemande, très vigoureusement conçue, s’inspire d’une idée très forte et même exagérée de l’état ; sans toucher à l’organisation actuelle de l’église, elle l’assujettit à certaines garanties dans l’intérêt de la société laïque. L’état se met au-dessus de l’église, qui n’est pas obligée de rompre la chaîne de sa hiérarchie, mais qui trouve à chaque anneau la main du gouvernement qui l’arrête et l’empêche de se mouvoir à son gré. La Suisse, pays démocratique, a donné le branle à un mouvement tout différent. La législation récente de certains de ses cantons n’a donné à l’état aucune part d’influence ou de direction dans l’église ; l’état s’y borne à faire des lois par lesquelles cette église, si elle ne peut s’y soustraire, sera contrainte de changer de base, et, au lieu de puiser son autorité dans le jugement infaillible d’un chef presque déifié, de

  1. Le rapport de la commission a été déposé dans les premiers jours d’avril ; la loi va être prochainement discutée.