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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/160

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perdu sa considération et ses domaines. Les Normands n’avaient qu’une foi médiocre, leur intérêt passant avant toute chose, fort respectueux et très polis toujours, mais ne craignant pas à l’occasion de prendre le pape au collet, comme ils l’ont fait deux fois[1], et pour cela, toujours traités avec ménagement par les papes, la politique des uns comme des autres s’accordant à leur avantage commun, et les papes s’étant toujours mal trouvés de se brouiller avec les Normands, voisins assez dangereux, avec lesquels il valait mieux vivre en amis qu’en ennemis. Lorsqu’éclata le différend de Grégoire VII et d’Henri IV, il y avait cinquante ans à peine que les Normands étaient établis en Italie, à la suite de cette aventure de chevaliers errans que tout le monde connaît. Ils étaient trop loin des empereurs allemands pour avoir beaucoup à les craindre. Ils cherchèrent à leur être utiles, et obtinrent les bonnes grâces de Henri II et de Conrad II. Les Karolings et les Otton[2] avaient refoulé vers ces extrémités de l’Italie une aristocratie lombarde qu’ils n’avaient pu détruire et qu’ils avaient préféré se rattacher par un lien féodal. Ils l’y laissaient aux prises avec les Grecs du bas-empire qui, refoulés aussi dans les montagnes de la Pouille et de la Calabre, s’y étaient ménagé des refuges inexpugnables d’où ils donnaient la main aux empereurs de Constantinople. Entre ces deux races qui se disputaient la possession du pays était survenue une troisième, celle des Sarrasins de Sicile, qui essayaient aussi par ce côté de prendre pied en Italie. C’est au milieu de ce conflit qu’étaient apparus les Normands, qui, trouvant le climat et la terre à leur convenance, tantôt aidant les Grecs et tantôt les Lombards, se faufilant entre eux et les Sarrasins, finirent par les évincer tous, et fondèrent un état qui fut l’un des-plus florissans du moyen âge, avec lequel les papes d’abord, les empereurs ensuite, furent obligés de compter, état qui devint plus tard un des joyaux de la couronne impériale de Souabe. Robert Guiscard a été un autre Guillaume le bâtard, mais d’ordre inférieur ; son frère et lui venaient de conquérir la Sicile lorsque Grégoire parvint à la papauté (1072).

Les papes avaient favorisé l’ambition envahissante des Normands à l’endroit des seigneurs grecs et lombards de la Pouille et de la Calabre, et l’on en comprend facilement les motifs[3], s’agissant de schismatiques. Ils encouragèrent aussi les entreprises normandes sur l’Albanie et sur les îles ioniennes, où périt Guiscard,

  1. Sur Léon X et sur Innocent II voyez l’Art de vérifier les dates, III, p. 811, et notre deuxième article, dans cette Revue, p. 619 et suiv.
  2. Voyez l’Historia principum langobardorum, beneventanæ olim provineiæ quæ modo regnum fere est neapolitamun ; edid. Cam. Peregrini, Neapoli, 1740,. 4 t. in-4o.
  3. Voyez Gfrörer, loc. cit., où cette question est très bien traitée ; — l’Art de vérifier les dates, t. III, p. 789 et 806 ; — Giesebrecht, t. III, p. 1082.