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s’effondrait ; son trône s’écroulait. L’empereur se réfugia auprès du roi de Bohême, son vieil allié, qui le reçut affectueusement et lui donna un vaillant capitaine, vieux soldat d’Henri IV en Italie[1], pour lui frayer passage jusqu’au Rhin. Le fils révolté convoqua une diète à Mersebourg, se fit reconnaître roi, rétablit sur leurs sièges les évêques grégoriens, expulsa les schismatiques, se dirigea rapidement sur Mayence pour restaurer l’archevêque orthodoxe, ce qui était de grande considération à cause de l’importance de la métropole, et en traversant la France orientale, il mit la main sur le trésor impérial. Henri IV de son côté, ayant réuni quelques forces, se portait aussi sur Mayence, où une diète générale était indiquée pour prononcer entre le père et le fils, et se montra disposé à essayer les chances d’une nouvelle rencontre[2]. Le fils, alarmé de cette résolution, vint au-devant de l’empereur à Coblentz et sollicita son pardon avec toute l’apparence du repentir. Henri IV, touché, embrassa son fils. Alors ce dernier sut persuader au crédule père de renvoyer son escorte pour ne pas, disait-il, paraître en attitude menaçante devant les états assemblés. Quelqu’un ayant averti l’empereur qu’on le trahissait, celui-ci, accablé du nouveau coup, tomba aux genoux de son fils en s’écriant : « Mon fils, mon fils, si Dieu veut punir mes péchés, ne souille pas au moins ton nom et ton honneur, car la nature ne veut pas que le fils s’érige en juge de son père. » Le jeune roi protesta de ses bons sentimens, et les deux princes firent route jusqu’à Bingen. Là il fut signifié au malheureux Henri IV de se rendre au château de Böckelheim pour y attendre de nouvelles dispositions. Le père était prisonnier de son fils ; il fut sommé de rendre les insignes de la dignité impériale, dont la possession était, dans les mœurs germaniques, le complément de l’inauguration souveraine. Le père donna ordre de les remettre ; mais, ayant réclamé d’être transporté à Mayence, où la diète était réunie, le fils craignit que ce spectacle de la majesté dégradée ne fît une trop vive impression sur le peuple, et refusa. Il fit conduire son père au château d’Ingelheim, où, n’épargnant aucune menace et aucune violence, il fit souscrire au vieil empereur l’aveu de toutes les fautes qui lui étaient reprochées et une abdication solennelle (31 décembre 1105). L’empereur signa ce qu’on voulut, mais demanda au moins que le légat du pape présent à la diète le relevât de

  1. C’est le fameux Wipert de Groisch, sur lequel il y a tant de légendes en Allemagne ; voyez les Annales Pegavienses dans Pertz, t. XVI, p. 235-243 ; — Menken, Script, rer. german., t. III, p. 834 et suiv., et la Vita Wiperti, dans les Scriptores rerum lusaticarum de Hoffmann, 1re partie, p. 3 et suiv. (Lips. 1719, in-fol.).
  2. Ekkehard et l’Annalista saxo donnent le détail de cette campagne malheureuse d’Henri IV. Voyez Mascov, p. 433 et suiv., et Giesebrecht, où tous les faits sont racontés par le menu.