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indifférente en matière de religion, elle essaya d’abord de tenir la balance égale entre les catholiques et les réformés, non par esprit de justice, mais dans l’intérêt exclusif de son pouvoir. On put croire un moment qu’elle penchait du côté des opinions nouvelles, car elle avait fait demander à Rome l’autorisation pour ses sujets de communier sous les deux espèces, et consulté le saint-siège sur l’opportunité du mariage des prêtres ; ce n’était là qu’un jeu à l’aide duquel elle espérait endormir les réformés. Lorsqu’ils devenaient menaçans, elle promulguait des édits de tolérance, et des édits de persécution lorsque les catholiques prenaient le dessus. Ceux-ci avaient pour chefs les Guises, qui ne dissimulaient pas leurs prétentions à la couronne comme descendans de Charles de Lorraine, le Carlovingien dépossédé par Hugues Capet. Abandonner aux Guises le rôle de protecteurs de l’orthodoxie, c’était leur livrer la royauté du catholicisme ; Catherine, pour ne point se laisser primer par eux, résolut de frapper un grand coup et de montrer qu’elle ne laissait à personne l’honneur de sauver la religion.

Le mystère qui enveloppe presque toujours les crimes politiques a laissé indécise la question de savoir si Catherine a pris l’initiative de la Saint-Barthélemy, ou si elle n’a fait qu’y donner son consentement ; mais dans ce gouvernement où rien ne se faisait que sur un signe des rois ou de ceux qui régnaient sous leur nom, qui donc, si ce n’est elle, aurait pu discipliner et centraliser l’assassinat et faire égorger en vingt-quatre heures, sur les points les plus divers et les plus éloignés, trente mille personnes suivant De Thou, soixante-dix mille suivant Sully ? Déjà en 1563, pendant une négociation entamée avec le duc d’Albe, on avait mis en avant l’idée d’un massacre général des protestans, et si ce massacre n’eut pas lieu, c’est que les circonstances ne s’y prêtaient pas ; mais Catherine était patiente : elle avait attendu vingt ans l’occasion de saisir le pouvoir, elle attendit de même l’heure de regorgement, et cette heure sonna pour elle lorsque les fêtes du mariage du roi de Navarre eurent réuni à Paris les chefs du parti protestant. Elle avait lu dans Machiavel qu’il ne faut jamais laisser échapper ses ennemis quand on les tient sous sa main, et que, pour faire disparaître un parti, il faut le frapper comme on frappe un homme, d’un seul coup, la nuit, sans que la persécution traîne. Cet abominable programme fut suivi de point en point, et la nuit du 24 août a marqué notre histoire d’une tache sanglante que les siècles n’effaceront pas ; mais ce n’est point seulement pour avoir égorgé ses sujets, c’est aussi pour les avoir corrompus que Catherine mérite les malédictions de la postérité, car les instructions qu’elle a rédigées pour Charles IX montrent comment elle faisait de l’avilissement des caractères le plus puissant instrument du despotisme.