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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/198

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publique ne justifiaient que trop cette peur de régner qui faisait pleurer Louis XVI. Placé à la tête d’une société qui ne pouvait plus vivre, ce prince, comme le Débonnaire, dont il rappelait la douceur et la faiblesse, se trouvait jeté au milieu d’une de ces crises redoutables où les qualités personnelles des rois se tournent souvent contre eux, et cette force aveugle du destin qui semble dans les drames antiques poursuivre les races royales vouées à la malédiction des dieux s’est appesantie sur sa tête et sur Marie-Antoinette, comme elle s’était appesantie déjà sur une autre victime des catastrophes dynastiques, Henriette de France, femme de Charles Stuart. La destinée de ces deux reines est identique en effet, comme leur rôle dans les deux révolutions. Transplantées sur une terre étrangère, elles assistent sans y rien comprendre aux événemens qui les poussent à l’abîme, et sont toutes deux en complète contradiction avec leur temps et les peuples sur lesquels elles sont appelées à régner. Henriette n’épouse Charles Ier qu’à la condition de rester catholique, et elle arrive dans un royaume antipapiste avec une dispense du pape, un confesseur et douze prêtres ; elle porte chez un peuple libre et fier les traditions de l’absolutisme français, et quand l’Angleterre, menacée dans ses croyances et ses franchises, lui répond par la guerre, par l’exil, par la mort de son époux, elle s’imagine qu’il est de l’honneur et du devoir de l’Europe entière de la plaindre et de la venger[1]. Marie-Antoinette, quoique avertie par de sombres pressentimens des périls de la monarchie, ne comprit pas davantage la situation qui lui était faite dans sa nouvelle patrie. Jetée au milieu d’un peuple où fermentaient les idées de liberté et de rénovation sociale, elle se crut encore en

  1. Nous ferons remarquer à propos du mariage d’Henriette qu’il a eu pour la France les plus tristes résultats. Il a provoqué l’intervention de Louis XIV dans les affaires religieuses de l’Angleterre, et ce prince, en se faisant le protecteur armé du catholicisme, a envenimé les haines qui existaient déjà entre les deux peuples ; il a préparé l’avènement de Guillaume d’Orange en lui donnant le rôle de défenseur du protestantisme européen, et il a conduit par la grande ligne au traité d’Utrecht, qui n’est en réalité que le prélude des traités de 1815 et le premier pacte européen tendant à l’amoindrissement de la France. La révocation de l’édit de Nantes a été le corollaire de la politique catholique de Louis XIV ; mais, chaque fois qu’il s’agissait du catholicisme, la raison du grand roi semblait s’obscurcir. Il ne faut pas du reste faire peser sur lui seul la responsabilité de sa conduite en matière de religion. La plupart des personnages qui l’entouraient le poussaient aux égaremens du prosélytisme, et Bossuet tout le premier, comme on peut le voir entre autres dans l’oraison funèbre de la seconde Henriette, fille de Charles Ier. Bossuet, qui ne voit dans l’histoire qu’un seul but, le triomphe de l’orthodoxie, glorifie tous les actes qui devaient faire détester par les Anglais la femme et la fille de Charles Ier ; il félicite vivement cette dernière princesse d’avoir cherché à soulever l’Europe catholique contre l’Angleterre, car du moment où il s’agissait d’extirper l’hérésie, tous les moyens lui semblaient bons, et si l’oraison funèbre est un modèle de beau langage, on peut dire qu’elle n’est au fond qu’un non-sens politique.