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désastreuse pour la nation[1] ? On se trouvait ainsi entre deux dangers. L’hésitation n’avait rien d’étonnant. Les avis étaient très partagés dans le gouvernement lui-même. C’est M. Ernest Picard qui le dit : « Je professais la théorie qu’il nous fallait réunir une assemblée le plus tôt possible… Je l’avais demandé le 5 septembre, je le demandai le 6, puis le 7, enfin le 8, je l’obtins… » Seulement ici, comme en tout, on avait l’air de faire plus qu’on ne faisait. On décrétait les élections en principe, et on les ajournait au 16 octobre, à une date où elles pouvaient être plus difficiles, sinon impossibles. On éludait, on réservait l’imprévu. Comme politique, ce n’était pas brillant, quoique ce fût presque inévitable ; mais on était à un moment où tout se perdait désormais dans le bruit des armes, où tout s’effaçait devant l’intérêt dominant, unique, de la défense militaire, de ce choc terrible que toute une ville attendait à l’abri de ses murs, avec un mélange d’anxiété et de courageuse confiance, peut-être encore avec d’inépuisables illusions survivant à tous les désastres.

Où en était définitivement cette défense au mois de septembre 1870 ? Sans soupçonner entièrement la gravité de l’épreuve qui le menaçait, Paris se préparait à son rôle de camp retranché de la France. Il avait tout d’abord pour le défendre cette ceinture de fortifications élevées il y a trente ans et qui se composent d’une enceinte bastionnée, protégée elle-même à l’extérieur par des forts avancés gardant le pourtour de la place. Au nord, entre la Seine du côté de Saint-Denis et les hauteurs de Romainville, les forts de La Briche, de la Double-Couronne, de l’Est, d’Aubervilliers, — à l’est, les forts de Romainville, de Noisy, de Rosny, de Nogent, de Charenton, avec une série d’ouvrages complémentaires depuis la redoute de La Boissière jusqu’aux redoutes de la

  1. On invoquait d’autres raisons, il faut l’avouer, et les meilleures n’étaient peut-être pas celles qui avaient le plus de puissance. Les procès-verbaux des délibérations du gouvernement de la défense contiennent ceci à la date du 8 septembre : « M. Garnier-Pages fait observer que la question pour ses collègues est de savoir si les élections seront républicaines. Si on en était sûr, on n’hésiterait plus. Or sa conviction est que les élections seront d’autant plus républicaines qu’elles seront faites plus vite. Elles le seront bien moins, si on en vient là après une capitulation. Il résume son opinion : « les élections, la levée en masse et une revue générale. » Ainsi voilà des hommes, placés en face de l’invasion et d’une armée ennemie formidable-mont organisée, qui en sont à discuter pour savoir si les élections seront plus ou moins républicaines, et à découvrir ces merveilleux spécifiques : la levée en masse et une revue générale ! — Autre opinion : « Si l’ennemi n’était pas là M. Simon serait d’avis de convoquer une assemblée ; mais aujourd’hui elle affaiblirait le gouvernement, traiterait avec l’ennemi pendant que l’on combattrait à Paris, et ne profiterait qu’à l’orléanisme… » Rapport de M. Chaper, au nom de la commission d’enquête sur les actes du gouvernement de la défense nationale.