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possibilité de cette opération extraordinaire d’un investissement aussi complet, aussi absolu, dépassant la mesure de toutes les combinaisons militaires connues. On considérait presque comme une chimère ambitieuse et vaine cette idée du siège ou du blocus d’une place défendue par une enceinte d’un développement de plus de 30 kilomètres, protégée par des forts décrivant une ligne circulaire de 60 à 80 kilomètres. On s’était dit, sur la foi des calculs ordinaires, que pour faire un tel siège il faudrait un matériel d’artillerie colossal qu’une armée traînerait difficilement après elle à 600 kilomètres de sa base d’opérations, que pour accomplir un tel investissement il faudrait 500,000 ou 600,000 hommes au moins. Qu’on pût réussir à empêcher les grands convois de ravitaillement d’arriver à la place assiégée, ce n’était point impossible, et c’était déjà beaucoup ; on n’imaginait pas un blocus tel qu’il pût interdire la plus simple communication. Toutes ces difficultés n’avaient point échappé aux chefs de l’armée allemande ; ils avaient remué le problème dans tous les sens, ils l’étudiaient depuis longtemps, et lorsqu’en 1867, à l’époque de l’exposition, les ministres de l’empire conduisaient M. de Moltke sur la butte Chaumont pour lui offrir le spectacle de Paris et de ses splendeurs, ils ne se doutaient pas qu’ils lui montraient un champ de bataille, que trois ans après ces campagnes déployées autour de Paris seraient occupées par les armées allemandes, que ces monumens qui se dessinaient à l’horizon recevraient des obus allemands. M. de Moltke, lui, regardait peut-être le spectacle moins en amateur du pittoresque qu’en stratégiste.

Même avant Sedan et à plus forte raison après Sedan, les chefs de l’armée allemande n’avaient point hésité un instant à marcher sur Paris. Seulement seraient-ils obligés de faire un siège régulier ? se borneraient-ils à un investissement ? Toute la question était là pour eux. Elle ne les prenait certes au dépourvu d’aucune manière. Ils avaient préparé un immense parc de siège qui n’attendait qu’un ordre de départ à Mayence ; mais on n’était pas maître des chemins de fer. Toul, qui tenait encore, quoique près de tomber, gênait singulièrement le passage sur la ligne de Nancy ; les transports étaient difficiles, il faudrait du temps pour amener sous Paris un attirail de siège qui ne pourrait pas être de moins de 600 pièces d’artillerie, qui nécessiterait de gigantesques approvisionnemens de munitions. On n’y renonçait pas, et en attendant on s’était décidé pour l’investissement. On comptait un peu sur les agitations intérieures, qui dévoreraient Paris, sur la famine, qui arriverait bientôt ; on ne croyait pas que Paris eût pour plus de six semaines et à la dernière extrémité pour plus de dix semaines de