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France, ne peut-on leur reconnaître le mérite d’avoir contribué à empêcher sa perte ?

A trois années de là se place une assemblée de nature particulière et complexe, assemblée de notables par sa composition, assemblée d’états par ses attributions financières. Nous la passerions sous silence, comme l’a cru devoir faire M. Desjardins, si nous ne rencontrions là une tentative nouvelle d’administration des finances par les états eux-mêmes, qui rappelle les malheureux essais de 1355. Ce qui distingue la tentative de 1596, c’est qu’elle a eu un caractère non plus révolutionnaire et violent, mais essentiellement pacifique et légal, c’est surtout qu’elle ne se heurte pas à un monarque récalcitrant : Henri IV est trop habile pour ne pas esquiver le conflit. Déjà tout son génie éclatait dans la convocation même de cette assemblée. Une promesse formelle faite au lit de mort d’Henri III l’obligeait de réunir les états ; mais l’ordre était depuis trop peu de temps rétabli dans les esprits et dans les choses pour qu’un prétexte d’agitation lui semblât sans danger : il sut donc à la fois prendre ses sûretés en désignant lui-même une partie des députés, et donner satisfaction à l’opinion publique en laissant confier aux autres un mandat électif. L’assemblée réunie, il ne montra pas moins d’habileté. Consternés du désordre des finances, alors parvenu à son comble, les notables s’étaient empressés de voter un impôt nouveau, la pancarte, ou sol pour livre[1] ; après quoi, puisant dans les exemples des précédens rois une défiance cette fois déplacée, ils songèrent à s’assurer non pas seulement le contrôle, mais le maniement même d’une partie au moins des finances. Les dépenses se divisaient en dépenses nécessaires, — gages d’officiers, rentes et autres dettes, — et dépenses extraordinaires, — frais de guerre, ambassades, dons et pensions, — lesquelles trop souvent faisaient tort aux premières. Les états se chargeraient de solder les dépenses nécessaires par le moyen d’une commission permanente qu’on nommerait le conseil de raison, et pour ce percevraient les impôts jusqu’à concurrence de moitié, 15 millions environ ; au roi les autres dépenses et le reste des recettes, soit 15 autres millions. Le Béarnais, conseillé par Sully, ne repoussa pas cette innovation ; il demanda seulement qu’on lui permît de choisir les recettes de son lot, et, comme on pense, ne choisit pas les moins bonnes. Il savait bien ce qu’il faisait en consentant à cette épreuve. Trois mois s’étaient à peine écoulés que les membres du conseil de raison, convaincus de leur impuissance,

  1. Cet impôt devait dans leur pensée produire 7 millions, et, ajouté aux 23 millions de recettes existantes, porter les revenus de l’état au chiffre nécessaire de 30 millions.