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pouvait disposer d’elle avec une liberté complète. Suivant la définition des jurisconsultes romains, la propriété était le plein pouvoir de l’homme sur la chose, plena in re potestas ; elle était le jus utendi et abutendi, le droit d’user, d’aliéner et même de détruire.


II. — DU DROIT DE PROPRIETE DANS LA SOCIETE GALLO-FRANQUE.

L’établissement d’une population germanique en Gaule n’était pas de nature à faire disparaître ou à altérer profondément la propriété individuelle. Ces nouveau-venus n’était pas des nomades ; s’ils avaient quitté la Germanie et le sol des ancêtres, c’est parce qu’ils en avaient été chassés par d’autres peuples ou parce que la terre ne suffisait pas à les nourrir. Ils s’étaient mis volontiers au service de l’empire pour obtenir les champs létiques que l’empire leur offrait en guise de solde. Ils avaient au plus haut point le goût de la propriété foncière. L’or des Romains les tentait, leur sol bien plus encore. Loin qu’ils se présentassent en ennemis de l’agriculture et de la propriété, ils étaient tourmentés du désir de devenir propriétaires et agriculteurs : aussi ne voit-on pas qu’ils aient eu même la pensée de mettre les champs en commun[1]. L’ambition de chacun d’eux fut d’acquérir par quelque moyen une part du sol et d’en faire sa propriété privée. Quelques-uns prirent les terres vacantes ; d’autres en achetèrent avec l’argent du butin. Saint Paulin, dans une de ses lettres, écrit qu’un barbare a trouvé à sa convenance une de ses terres située près de Bordeaux, et qu’il lui en a envoyé le prix. Le moyen le plus simple qui s’offrit aux Germains fut de s’adresser à leurs chefs qui avaient en main l’immense domaine du fisc impérial et qui en distribuèrent des parts à leurs soldats et à leurs serviteurs. Les rois burgondes et wisigoths rappellent dans leurs lois

  1. Un savant publiciste, avec qui nous regrettons de ne pas nous trouver d’accord sur ce point, M. de Laveleye, a cru trouver dans les consortes que mentionnent les lois des Burgondes et des Wisigoths la trace d’une sorte de propriété commune. Le mot consortes appartient à la vieille langue latine ; il désigne proprement les hommes qui possédaient entre eux le lot de terre appelé sors. Ce lot était une unité à peu près indivisible ; M. Giraud a bien montré qu’une fois établi par la religion il restait immuable. Les successions et les ventes partageaient le lot, mais ne le brisaient pas. Chaque nouveau domaine qui se formait par le partage s’appelait non pas sors, mais portio. Ce mot, très employé au temps de l’empire, resta en usage sous les Mérovingiens ; on le retrouve souvent dans les actes. Les familles qui avaient des portiones sur le même sors étaient consortes entre elles de père en fils ; pourtant il n’y a rien là qui ressemble à une propriété commune : il existait seulement entre ces familles un certain lien religieux et même légal, qui s’était établi au temps de l’empire, dont on trouve des marques chez les agrimensores et dans les codes romains, qui fut respecté par les premiers codes rédigés par les Germains, mais qui ne tarda guère à disparaître, et que l’on ne trouve plus au VIIe siècle.