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donation, ni par échange ; elle leur permet seulement de céder en précaire et dans la forme suivante. Quand une église concédera à un homme, en vertu de sa demande ou de sa prière, une terre de son domaine, il faudra que cet homme, en échange du bienfait, lui fasse donation d’une autre terre de même valeur ; il obtiendra alors les deux terres en usufruit pour un nombre d’années déterminé ou pour toute sa vie ; l’église les reprendra ensuite toutes les deux[1]. Rien ne prouve que ce genre de convention fût propre à l’église. Si l’église l’employa, si les empereurs l’autorisèrent, il est vraisemblable qu’il était déjà en usage chez les particuliers, et il explique les progrès de la grande propriété à cette époque. Nous le retrouverons d’ailleurs dans toute la période mérovingienne.

Enfin le précaire apparaît encore sous une dernière forme à la fin de l’empire romain. Les lois du IVe et du Ve siècle signalent et combattent un usage toujours croissant qu’elles appellent le patronage des fonds de terre, fundorum patrocinia, elles ajoutent que beaucoup de petits propriétaires et même de curiales, en vue de se soustraire à l’impôt ou pour obtenir en justice la protection d’un puissant personnage, plaçaient leurs terres sous le nom de cet homme, c’est-à-dire lui cédaient leur titre de propriété. Le législateur, qui poursuit de toutes ses sévérités cette sorte de pacte, ne nous apprend pas à quelles conditions et sous quelle forme il était conclu ; mais un écrivain de la même époque, le prêtre Salvien, nous le fait bien voir. « Le faible, dit-il, se met entre les mains d’un puissant pour être protégé ; celui-ci ne le reçoit sous son patronage qu’en commençant par le dépouiller, car le malheureux doit avant toutes choses faire l’abandon de son bien. » Il continue à la vérité à occuper sa terre ; mais il n’en a plus que l’usufruit. « Pour que le père ait un protecteur, ajoute Salvien, le fils perdra l’héritage ; le père possédera temporairement, le fils sera dépouillé à jamais, car cet homme a cessé d’être un propriétaire : désormais il paie la rente de son champ, et son champ n’est plus à lui. » Tel est donc le résultat de la convention qui a été conclue entre ces deux hommes ; le faible s’est adressé au puissant, et, pour obtenir sa protection, il lui a livré sa terre. Cette terre lui a été rendue, non plus en propriété, mais en simple jouissance, non par un contrat formel de louage, mais par simple précaire ou par bienfait. Ce qu’il avait autrefois en vertu de son droit personnel, il ne l’a

  1. Code Justinien, I, 2, 14 ; I, 2,17 ; les expressions pro petitione et beneficii gratia qui se trouvent ici sont caractéristiques du précaire. D’ailleurs cette sorte d’acte s’est continuée sans interruption aux siècles suivans dans la société franque, et le nom de précaire y est resté attaché. Ce n’est en effet que l’ancien précaire romain avec l’adjonction d’une clause précise qui n’est peut-être pas aussi nouvelle qu’elle le parait.