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l’être pour prétendre donner une description de la vie future qui fût acceptée de tous comme un dogme. Personne encore ne l’avait fait. Pour les prêtres comme pour les philosophes, ce qui suit l’existence n’apparaissait que comme une sorte de rêve ; tout ce qu’on en disait était plutôt du domaine de l’imagination que de la foi. Le poète pouvait donc à la rigueur imaginer les enfers comme il le voulait ; il aima mieux partir des opinions populaires. Ces opinions, nous l’avons vu, étaient fort incertaines ; elles avaient changé plusieurs fois et en se modifiant s’étaient affaiblies. il pensa néanmoins que ces vieilles légendes, malgré leurs incohérences et leur discrédit, pouvaient encore lui être utiles. On nous dit bien que les sages avaient cessé depuis longtemps d’y croire ; mais les sages sont toujours en minorité dans le monde, et d’ailleurs il n’est pas sûr qu’ils en fussent aussi désabusés qu’ils le prétendaient. Quand des fables se sont imposées pendant tant de siècles à la croyance des hommes, elles ne s’effacent pas aisément de leur souvenir. Celles-là étaient de plus protégées contre l’oubli par des chefs-d’œuvre, la poésie et les arts les rendaient immortelles ; même quand la raison s’éloignait d’elles, elles restaient maîtresses de l’imagination, et gardaient ainsi une partie de l’homme malgré lui. Ce qui prouve bien qu’elles n’avaient pas perdu tout crédit, c’est l’empressement que mettaient les philosophes, surtout les stoïciens, à s’autoriser d’elles et à les interpréter dans le sens de leurs systèmes. Ils espéraient en agissant ainsi faire profiter les doctrines nouvelles qu’ils voulaient émettre de ce respect qu’on accorde involontairement aux choses anciennes. C’est aussi le dessein de Virgile ; il pensait que son récit aurait plus d’autorité, s’il prenait soin de mêler toujours les traditions aux nouveautés et la philosophie à la fable.

Ce mélange est au fond la principale originalité de son œuvre : rien ne lui a plus servi à donner un caractère plus moral et plus élevé aux idées qu’on se faisait autour de lui de la vie future. C’est par là que, malgré les larges emprunts qu’il fait aux antiques légendes, son Elysée et son Tartare ne sont plus ceux de la mythologie. On a vu tout ce qu’il y ajoute : je ne veux rappeler ici que cette opinion, qu’il expose avec tant d’éclat, que l’homme est composé de deux élémens d’origine diverse, que le corps, matière terrestre, corrompue, est un principe de souillure, que son alliance avec l’âme, qui vient du ciel, est la source des luttes qui troublent la vie. Il en tire une conséquence importante et inattendue. Si l’on admet avec lui que l’âme et le corps se gênent et que leur union est une cause permanente de souffrance et de combat, il faut penser que leur séparation est un bien, et que l’existence véritable ne commence que lorsqu’ils se sont quittés. On avait cru d’abord tout le