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par s’emparer de la forêt et des pâturages communs. Les terres labourables, cultivées par les paysans, se sont bientôt affranchies aussi du partage périodique. C’est ainsi qu’en Angleterre il ne reste presque plus de traces de la marche primitive. Toutefois le domaine plein et entier de droit romain n’y a jamais été reconnu. En droit strict, le sol anglais jadis conquis par Guillaume et distribué par lui à ses vassaux appartient encore aujourd’hui au souverain. Ceux qui le possèdent ne sont que les tenanciers de la couronne[1].

En France, les paysans, longtemps groupés en sociétés de famille, sont parvenus à conserver une partie des communaux ; mais attaquée par les économistes, battue en brèche par des lois de partage forcé et toujours mal administrée, la propriété communale ne rapporte presque rien ; la jouissance en est mal réglée, et elle ne survit que comme un reste du passé qui jure avec l’économie agraire actuelle. En Suisse, il en est tout autrement. Dans ces hautes vallées, la féodalité ne s’est introduite que tard ; elle n’a jamais eu que peu de puissance, et avant la fin du moyen âge elle était complètement extirpée. Les institutions démocratiques de la marche primitive s’y sont donc conservées dans toute leur vigueur. Quoique la propriété privée s’y soit fait peu à peu une large place, la propriété communale n’a pas disparu. Soumise à des règlemens de plus en plus précis, elle a suivi un développement juridique régulier, et elle continue à jouer un rôle très important dans la vie économique des cantons alpestres.

Les propriétés communales s’appellent dans la Suisse primitive Allmenden, ce qui paraît signifier qu’elles sont le domaine commun de tous. Dans un sens restreint, le mot Allmend désigne seulement la partie du domaine indivis qui, située près du village, est livrée à la culture. Le domaine commun se compose de trois parties distinctes, la forêt, la prairie et la terre cultivée, Wald, Weide und Feld. Certains villages, comme ceux des cantons de Zug et de Schwytz, où il existe des plateaux marécageux, possèdent en outre des terrains où l’on coupe des joncs pour faire de la litière dans les étables, Riethern, et d’autres terrains encore où l’on exploite la tourbe pour le chauffage, Torfpäilze. Le communal n’est pas ici comme chez nous une lande nue, une bruyère stérile où paissent quelques maigres moutons et qui offre l’image de l’incurie et de la

  1. Ce principe est exposé par Blackstone et par tous les juristes anglais. Voici comment s’exprime à ce sujet un manuel de droit très répandu en Angleterre, Williams, On the Law of real Property : « La première chose que l’étudiant doit faire est de se débarrasser de l’idée de propriété absolue. Une pareille idée est absolument étrangère à la loi anglaise. Aucun particulier n’est propriétaire absolu de la terre. Il peut seulement y avoir un intérêt. » M. Gifle Leslie, dans son excellent livre On Land Systems, dit également : « En Angleterre, l’intérêt le plus complet qu’un sujet peut posséder dans le sol, c’est une tenure in fee sous la couronne. »