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couvre de son ombre protectrice 156 individus arrachés à une mort certaine.

Depuis le sac de Chio, jamais pareil carnage n’avait ensanglanté le théâtre de la guerre ; jamais aussi épouvantable calamité n’avait mérité la compassion de l’Europe. De 7,000 Ipsariotes, 3,000 seulement échappèrent par la fuite au massacre ; 17,000 réfugiés furent égorgés ou emmenés en esclavage. Cent navires. tombèrent entre les mains du capitan-pacha, « Ipsara, écrivait M. de Reverseaux, recelait les plus braves des Grecs. C’était une des principales colonnes sur lesquelles s’appuyait l’édifice de leur régénération ; il est incroyable qu’une heure et demie ait suffi pour la ranger sous la domination des Turcs. Aussi parle-t-on de la défection des Albanais que les Ipsariotes. avaient appelés à leur aide ; l’astucieuse bravoure de Khosrew les avait fait acheter à l’avance. » La Porte se plaignit de l’intervention. du capitaine de l’Isis aussitôt qu’elle en fut informée. On n’avait pas le droit, suivant elle, de barrer le chemin à sa vengeance et de soustraire, des rebelles au châtiment qu’ils avaient mérité. « Adressez mes félicitations, sincères à M. de Villeneuve sur sa belle conduite à Ipsara, » écrivit le comte de Guilleminot au commandant de la station française, revenu en ce moment de Nauplie à Smyrne. Ce fut la seule réponse qu’obtinrent de notre ambassadeur les réclamations du divan.

Le comte de Reverseaux, le vicomte de Villeneuve, étaient à cette époque l’espoir de notre marine renaissante. Ils l’ont quittée trop tôt, l’un en 1831, l’autre en 1835, s’arrachant, comme le brave Villaret-Joyeuse, à la profession qu’ils aimaient, au grand corps où ils étaient honorés. Dès que la paix leur parut suffisamment établie en Europe, ils n’hésitèrent plus à sacrifier un brillant et certain avenir à leurs vieilles convictions de famille. De pareils hommes ne se remplacent pas aisément. Par bonheur, le temps des grandes guerres maritimes était bien passé ; s’il eût fallu de nouveau entrer en lutte avec l’Angleterre, notre marine se fût certainement aperçue du vide qu’avait laissé dans ses rangs le départ d’aussi valeureux capitaines.

La prise d’Ipsara était un fait accompli ; on pouvait au moins essayer de sauver Samos. Éveillés par une aussi effroyable catastrophe au sentiment de leur propre danger, Hydra et Spezzia s’étaient hâtées d’équiper leur flotte. Le 15 juillet, Miaulis surprenait vingt-sept navires turcs mouillés dans le port d’Ipsara ; le 11 août, Sachtouris détruisait une flottille qui transportait de nouvelles troupes asiatiques à Métélin. Le 16, le capitan-pacha avec toute sa flotte se présentait à l’entrée du golfe de Scala-Nova. Cinquante bâtimens grecs n’hésitèrent pas à offrir le combat à ses quarante-deux frégates et corvettes Canaris était là Il ne voulut