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n’ont jamais, comme Pénélope, détruit le lendemain l’ouvrage de lia veille. Elles ont constamment et progressivement poursuivi le même but, à savoir la conception des principes invisibles et de l’essence idéale des choses. Ce but restera l’objet de leur ambition jamais satisfaite. Au fur et à mesure que nous irons, elles s’attacheront à définir plus clairement et à mettre dans un relief plus saisissant les forces primitives et les activités élémentaires vaguement entrevues dès l’aurore de la pensée. Jamais infidèles à elles-mêmes, elles représenteront toujours, à quelque moment de l’histoire qu’on les examine, l’âme humaine invariable en sa nature, en ses aptitudes et en ses espérances. Qu’elles me se prennent point à considérer avec mélancolie l’œuvre du passé et ne se demandent point s’il en restera un jour quelque chose. Tout en restera, et c’est ce qui fait la consolation et le courage de ceux qui cherchent à accroître la somme des connaissances.

Ce n’est pas seulement avec les inductions les plus hardies et les découvertes les plus brillantes de la science contemporaine aussi bien qu’avec les vérités les plus antiques et les croyances les plus instinctives de l’humanité que s’accordent les conceptions actuelles sur la matière, c’est encore avec les convictions plus hautes, plus chères et non moins légitimes, qui constituent le patrimoine moral et religieux, et la noble prérogative de notre nature. La science la plus avancée ne répudie aucune des traditions et n’élève d’objection contre aucun des grands et durables sentimens des âges passés. Au contraire, elle confère le caractère de la certitude à des vérités jusqu’alors destituées de preuves convenables, et soustrait aux atteintes du scepticisme tout ce qu’il convoitait comme sa proie. Aucune preuve de l’immortalité de l’âme ne vaut celle que nous avons tirée[1] de la simplicité et de l’indestructibilité nécessaires de tous les principes d’énergie. Rien ne dépose en faveur de la majestueuse réalité de Dieu aussi fortement que le spectacle des différentiations harmoniques qui règlent l’ordre infini des forces et déterminent l’unité synergique du monde. C’en est assez pour établir que la grandeur morale et la dignité intellectuelle d’une nation devront toujours être mesurées au degré de l’estime et du crédit dont y jouissent les hautes spéculations métaphysiques et en particulier celles qui ont trait à la constitution de la matière. Spéculer sur la constitution de la matière est le meilleur moyen d’apprendre à connaître l’esprit et de comprendre que tout s’y ramène, parce que tout en dérive.


FERNAND PAPILLON

  1. Voyez la Physiologie de la mort, — Revue du 1er avril 1873.