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le 15 mars. Le prévôt donna son opinion personnelle au parlement, qui, l’adoptant, ordonna par arrêt du 23 mai 1671 que dorénavant l’éclairage commencerait le 20 octobre et serait prolongé jusqu’au 31 mars. On gagnait quarante jours, ou, pour mieux dire, quarante nuits.

Si médiocre que fût le système d’éclairage, il est le principe des illuminations quotidiennes dont nous profitons aujourd’hui ; il fit une véritable révolution qui ne déplut pas à ceux qui en furent témoins. Le 4 décembre 1673, Mme de Sévigné écrit à sa fille : « Nous soupâmes encore hier avec Mme Scarron et l’abbé Têtu chez Mme de Coulanges ; nous trouvâmes plaisant de l’aller remener à minuit au fin fond du faubourg Saint-Germain, fort au-delà de Mme de La Fayette, quasi auprès de Vaugirard, dans la campagne. Nous revînmes gaîment à la faveur des lanternes et dans la sûreté des voleurs. » On s’y était si vite accoutumé qu’on se plaignait dès qu’elles n’éclairaient pas suffisamment, ce qui arriva plus d’une fois ; il faut croire que les plaintes montaient haut, car en janvier 1688 Seignelay écrit à La Reynie, de la part du roi, qu’il ait à veiller au bon entretien « des chandelles, dont plusieurs ne brûlent pas à cause de leur mauvaise qualité. » On a sur la disposition des lanternes dans les rues le témoignage précieux d’un contemporain. Le docteur Martin Lister, qui vint à Paris en 1698, a écrit dans la relation de son voyage : « Les rues sont éclairées tout l’hiver, aussi bien quand il fait clair de lune que pendant le reste du mois, et je le remarque surtout à cause du sot usage où l’on est à Londres d’éteindre les réverbères[1] durant la moitié du mois, comme si la lune était bien sûre de briller assez pour éclairer les rues, et qu’il fût sans exemple de voir en hiver le ciel nébuleux. Les lanternes sont suspendues ici au beau milieu des rues, à 20 pieds en l’air et à une vingtaine de pas de distance. Elles sont garnies de verre d’environ 2 pieds en carré, recouvertes d’une large plaque de tôle, et la corde qui les soutient passe par un tube de fer fermant à clé et noyé dans le mur de la maison la plus voisine. Dans les lanternes sont des chandelles de quatre à la livre, qui durent jusqu’après minuit. Ceux qui les briseraient seraient passibles des galères ; trois jeunes gens de bonne maison qui par plaisanterie s’étaient amusés à en casser récemment furent mis en prison et ne furent relâchés au bout de plusieurs mois que grâce à la sollicitation des bons amis qu’ils avaient à la cour. » A la fin du XVIIe siècle, Paris était éclairé par 6,500 lanternes, qui brûlaient 1,625 livres de chandelles par

  1. Je laisse le mot réverbère, qui a été employé par le traducteur ; il me parait inexact, car les réverbères n’ont été inventés qu’en 1745.