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banlieue à Paris on se trouva en présence de diverses exploitations industrielles qui alimentaient les communes suburbaines. L’unité de service et de fabrication, si utile en pareil cas, n’existait plus. Pour remédier à cet inconvénient, on réunit toutes les sociétés en une seule sous le titre de Compagnie parisienne d’éclairage et de chauffage par le gaz. C’est celle qui fonctionne aujourd’hui. Elle éclaire Paris et pousse même ses conduites à plusieurs kilomètres au-delà des murs d’enceinte. Son siège administratif est rue Condorcet, sur l’emplacement qu’occupait jadis l’usine à gaz établie par Pauwels ; c’est une vaste maison qui ressemble à un petit ministère et qui n’a rien de curieux. Pour fabriquer le gaz nécessaire à la consommation de Paris, il ne faut pas moins de dix grandes usines, qui sont situées aux Ternes, à Saint-Denis, à Maisons-Alfort, à Passy, à Boulogne, à Ivry, à Saint-Mandé, à Vaugirard, à Belleville et à La Villette. C’est celle-ci que nous visiterons, car elle est plus vaste, plus active, plus populeuse que les autres ; Elle est énorme et couvre un terrain superficiel de 33 hectares.

Tout en haut de la rue d’Aubervilliers, au-delà d’une maison peinte en rouge qui est un hôtel garni à l’enseigne du grand Molière, et qui est décorée d’un buste de Racine, dans une contrée perdue, triste et pleine de masures, l’usine s’élève à côté des fortifications. Dès qu’on a franchi la grille, on croit pénétrer dans le pays mystérieux dont parlent les Arabes, dans le pays où l’on fait les nuages. En effet, du milieu de la grande cour s’échappent d’énormes panaches de vapeur blanche que le vent tord, éparpille et dissipe, tandis que les hautes cheminées des fourneaux poussent vers le ciel des torrens de fumée. Des hommes vêtus de souquenilles couleur de charbon, en sueur et noirs de poussière, passent en charriant des houilles incandescentes qu’on répand sur les pavés et qu’on éteint à l’aide de quelques seaux d’eau. Des collines de coke, si hautes que pour pouvoir les exploiter on a été obligé d’y tracer des chemins, se dressent dans des chantiers réservés ; devant les bâtimens où flambent les fours serpentent des tuyaux qui ressemblent à de gigantesques tuyaux d’orgues : nul bruit, si ce n’est peut-être celui d’une charrette qui traverse la cour ou d’un chien qui aboie. Ce n’est pas cependant que l’activité fasse défaut ; mais on agit et l’on ne parle pas. Bâtimens en briques, pavillons d’habitation en pierres meulières, uniformément tapissés d’une nuance triste empruntée à la suie et à la houille, — tout cela a l’air en deuil, et c’est fort laid.

L’usine est très complète ; elle a dévastes ateliers où elle construit les appareils en fer dont elle a besoin, une briqueterie où elle fait ses cornues, une distillerie où elle utilise les eaux ammoniacales et une goudronnerie où elle fabrique le brai. Le chemin de