Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autre négociant se contentera d’un profit de 2 à 3 pour 100 sur chaque opération en le renouvelant très souvent ; pour gagner 100,000 francs, il lui faudra faire 4 ou 5 millions d’affaires. Ce dernier, à raison de 1 pour 1,000, paiera au fisc 5,000 francs, c’est-à-dire vingt-cinq fois plus que le premier. Un impôt qui est entaché d’une telle inégalité, en dehors d’autres considérations qui le rendent difficile à établir, n’est pas soutenable et ne peut pas arrêter un instant la pensée d’un homme sérieux.

Que faire donc ? On aura beau chercher, on ne trouvera rien dans les expédiens proposés qui puisse fournir la somme dont on a besoin ; elle est trop considérable, et, puisqu’on ne veut rien demander au sel, ni à l’impôt foncier, qu’on craint également d’accroître, il n’y a qu’un moyen de sortir d’embarras, c’est de recourir purement et simplement à l’income-tax. Quand il a été question pour la première fois de cette taxe, il y a deux ans, les adversaires en ont parlé comme d’une chimère qui n’avait d’application nulle part, et qui nous ferait entrer à pleines voiles dans les eaux du socialisme. Or cette chimère existe tout autour de nous, en Angleterre, en Allemagne, en Russie, aux États-Unis. Partout elle produit d’excellens résultats. Les Anglais l’ont adoptée dans une situation beaucoup moins grave que la nôtre, pour opérer une réforme économique, et équilibrer un budget auquel il ne manquait qu’une quarantaine de millions, ils s’en sont bien trouvés ; la réforme s’est accomplie à la satisfaction de tous les intérêts, et aujourd’hui le budget a des excédans considérables. Cet exemple devrait nous encourager, mais n’y a pas de pays où ce qui se passe ailleurs a moins d’influence que chez nous. Il semble que nous ayons en tout une science qui nous est propre et qui n’a rien à emprunter aux voisins. Hélas ! les derniers événemens auraient dû nous apprendre à être plus modestes. La taxe du revenu a réussi en Angleterre ; pourquoi ne réussirait-elle pas en France ? Nous n’aimons pas, dit-on, la déclaration sur laquelle elle repose généralement, — mais les étrangers ne l’aiment pas plus que nous, et ils s’y résignent, parce que c’est encore après tout la meilleure base que l’on puisse lui donner et la moins vexatoire.

Quant à l’objection que, dans un état démocratique comme le nôtre, l’impôt du revenu conduit fatalement à l’impôt progressif, c’est-à-dire au socialisme, c’est un argument dont on a beaucoup trop abusé. Les radicaux, s’ils arrivaient au pouvoir, n’auraient pas besoin de ce précédent pour établir l’impôt progressif, s’ils en avaient envie ; il leur suffirait de prendre le rôle des contributions directes. Les États-Unis sont aussi une société démocratique ; la taxe du revenu n’y amène pas nécessairement le triomphe du so-