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son engagement, ce serait le gousset vide, sans un sapèque pour acheter quelques grains de riz dans les boutiques de Macao, qu’il se trouverait dans la rue et livré à lui-même. Les traitans ont compté là-dessus, et on va comprendre pourquoi.

Un chargement varie de 400 à 500 coulies. Lorsque ce chiffre se trouve atteint, que le navire est prêt à prendre la mer, les maisons d’émigration en avisent le gouverneur de Macao. Il y a quelques années, on ne se donnait pas cette peine; mais depuis que M. Gladstone, fortement opposé à ce genre d’exploitation des Chinois, a signalé à l’attention du cabinet de Lisbonne ce qui se passait à Macao, voici ce qui a lieu. Aussitôt que le gouverneur de la colonie a été averti, deux commissaires portugais, agens officiels, vont aux prisons et font apposer sur les murailles un avis en langue chinoise dans lequel il est dit que, si quelques coulies ont des raisons à donner contre leur départ, ils aient à se préparer à les faire valoir devant les autorités portugaises. L’affiche reste apposée trois jours, et le quatrième l’interrogatoire personnel des émigrans commence. Ceux qui veulent s’embarquer sont conduits immédiatement au bateau; les mécontens, c’est-à-dire ceux qui prétendent que, leur bonne foi ayant été surprise, il n’y a pas pour eux obligation de remplir leur engagement, sont mis en liberté. Ici se place un incident qui serait comique, s’il ne touchait à ce bien si précieux qu’on appelle la liberté individuelle. Il faut que le coulie qui refuse de partir, — et nous devons croire que son engagement n’a pas été obtenu d’une façon loyale, puisque la loi portugaise ne l’oblige pas à y faire honneur, — il faut, disons-nous, que le coulie récalcitrant remette aux racoleurs les vêtemens qu’il a reçus au moment de la signature du contrat en Chine. Or il arrive souvent que l’impossibilité où se trouve le coulie d’acheter une simple loque pour se couvrir le décide à demander d’être conduit à bord. D’autres, les prévoyans, qui ont gardé un peu d’argent pour vivre et un vêtement de rechange, sont contraints de regagner sans retard le territoire chinois et le village d’où ils sont sortis; mais le petit mandarin devant lequel le contrat a été passé ne les voit jamais revenir d’un bon œil. Les racoleurs reprocheront plus tard à ce fonctionnaire d’avoir accepté une gratification pour son intervention dans un acte dont les conditions n’ont pas été remplies ; c’est enfin une insulte à sa qualité d’officier ministériel. Le Chinois qui est revenu de Macao n’a donc qu’à se bien conduire : s’il commet la faute la plus légère, les coups de bâton sur la plante des pieds pleuvront pour lui au yamen; à tout instant, il sera conduit en prison et soumis à l’affreux régime qui l’y attend; n’ayant plus ni trêve ni repos, un seul salut lui reste, c’est de quitter son pays, et c’est ce que font neuf