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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/218

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Ils l’entendirent, mais je ne sais s’ils comprirent. Ce que je sais, c’est qu’ils se mirent à la contrefaire; depuis ce jour, chaque fois qu’ils la rencontraient, ils s’amusaient à crier : Bozi mo ! Bozi mo ! Nous étions extrêmement affligées de voir qu’ils n’avaient aucun respect pour nos églises, et notre père aumônier nous disait : — Quel respect voulez-vous qu’ils aient pour des églises changées en habitations? S’ils pèchent par ignorance, Dieu leur pardonnera, car ils n’ont pas profané volontairement les choses saintes. »

Dans tous ces récits, on voit bien les soldats de 1812 débarrasser les sanctuaires orthodoxes de leurs ornemens superflus, fouiller dans les coffres et les tiroirs de meubles, échanger leurs vieilles bottes contre les chaussures dont ils dépouillaient parfois l’habitant, retrouver ce qui n’était pas perdu, s’asseoir à des tables où ils n’étaient pas invités ; mais nul exemple de violence à l’égard des femmes. Plus d’une fois sans doute ils installèrent avec eux, même dans les cellules que de respectables religieuses avaient dû leur céder, ou de bonnes amies qu’ils avaient amenées d’Allemagne, ou des beautés faciles recueillies dans les rues de Moscou, ou de jolies modistes et actrices françaises recrutées au Pont-des-Maréchaux. Ces mamzelles, comme les appellent nos récits, scandalisaient les vieilles nonnes et intriguaient très fort les jeunes. Celles-ci étudiaient curieusement par la fenêtre de leurs cellules cette espèce inconnue de femmes; mais les vieilles, quand elles jetaient par hasard les yeux du côté où les Français avaient leurs quartiers, crachaient de dégoût, et se retiraient, les larmes aux yeux, murmurant des prières.

On sait que Napoléon était impitoyable pour certains attentats. Un témoin russe rapporte que deux soldats français, arrêtés pour un crime de ce genre, furent immédiatement traduits devant un conseil de guerre et fusillés une demi-heure après. « Un matin, ajoute le narrateur, je vis quelques soldats qui entraînaient des jeunes filles dans l’angle d’une église... Quelque douteux que fût le succès de ma démarche, je m’approchai néanmoins pour faire entendre raison à ces furieux; mais quel fut mon étonnement! Ils dépouillaient tout simplement ces villageoises de leurs chaussures, et cela avec toute la décence convenable. Elles riaient en s’en allant et disaient : — Si nous avions su que ce fût pour nos voiloks, nous les aurions donnés de bonne volonté. — On avait d’abord une peur extrême des Français. Les serfs de la maison Vsevolojski par exemple, laissés seuls à la garde de l’hôtel, s’étaient empressés, après une délibération en règle, de prendre des pioches et des pelles; ils allèrent creuser dans le jardin des espèces de terriers où ils cachèrent leurs femmes et leurs enfans. Les Français en arrivant ne trouvèrent que des hommes, tout à fait comme dans les Dra-