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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/221

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de cacher aux guerriers latins une dangereuse beauté. La même idée vint à l’esprit de nos duègnes de couvent. « On avait imaginé aussi de barbouiller de suie quelques-unes des jeunes. Un jour, de vieilles religieuses allèrent à la cave aux provisions et prirent avec elles trois de ces novices qui avaient le visage mâchuré, pour ne pas les laisser seules à la maison. Comme elles traversaient la cour, elles rencontrèrent des Français qui les entourèrent, regardèrent les jeunes filles et se mirent à rire. Alors les vieilles commencèrent à cracher, pour leur faire entendre que ces nonnes étaient sales et dégoûtantes. Il y avait là une cuve d’eau : l’un des soldats courut chercher de l’eau plein un puisoir et fit signe aux novices de se laver. Elles prirent peur et voulurent fuir. Les Français les rattrapèrent et se mirent en devoir de les débarbouiller. Les fillettes criaient, les vieilles criaient, et les Français riaient aux éclats. Quand ils les eurent bien lavées, ils commencèrent à leur faire des saluts, pour donner à comprendre combien ils les trouvaient belles. Ils ne leur faisaient aucun mal, et disaient toujours : — Jolie fille ! jolie fille. — Depuis ce temps, chaque fois qu’ils les rencontraient, ils riaient et faisaient des signes pour montrer comment elles étaient alors barbouillées. »

Il fallut peu de temps pour que les religieuses, comme les serves de la maison Vsevolojski, se rassurassent sur les intentions des conquérans. Les mamzelles à part, c’étaient des hôtes assez commodes. Les officiers vivaient en très bonne intelligence avec les popes : ils finissaient par se faire comprendre d’eux en échangeant quelques mots de latin. Les aumôniers demandaient ordinairement la permission de recommencer à célébrer les offices pour les religieuses : leur demande était accueillie très courtoisement; on leur accordait des sentinelles pour la durée de l’office; nos officiers fournissaient même de leur table le vin nécessaire pour la célébration de la messe orthodoxe. Les simples soldats faisaient aussi (en tout honneur, bien entendu) bon ménage avec les nonnes. La première frayeur avait si bien disparu que quelques-unes s’amusaient à exercer leur patience. « Il y avait chez nous, dit une narratrice, une religieuse qui, toutes les fois qu’elle les rencontrait, les regardait dans le blanc des yeux, — et de quel air! Mais eux ne disaient rien. Un jour, elle alla au puits chercher de l’eau; un Français survint et voulut l’aider à monter le seau. Comme elle l’arrangea! — Crois-tu, lui dit-elle, que nous allons boire l’eau qu’auront touchée tes mains païennes? Va-t’en, maudit! ou je vais te donner une douche. — Elle lui montrait le poing, et attrapait le seau à deux mains pour le lui verser sur la tête. Un autre se serait fâché; mais lui, il rit et s’en alla. »

Les religieuses condescendaient parfois à faire leur pain, à leur