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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/299

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une véritable conquête, une sorte de preuve décisive dans leurs lois, qui nous sont restées. Ces lois attestent une dépossession légale du sol, exercée en certaine proportion contre les Romains vaincus. Voici par exemple comment s’exprime la loi des Visigoths dans un de ses articles, intitulé du Partage des terres entre le Goth et le Romain. « Que nul ne porte atteinte d’aucune façon au partage des terres labourables et des bois entre le Goth et le Romain. Que le Romain ne revendique ou ne réclame pour lui rien des deux parts qui reviennent au Goth; que le Goth, de son côté, ne revendique et n’usurpe rien du tiers qui appartient au Romain, à moins qu’il n’en doive quelque chose à notre libéralité. » Un autre article de la même loi veille encore à ce que le tiers du Romain ne puisse être usurpé. Or quel autre sens peut-on attribuer à cette expression : divisio terrarum, que celui du partage des terres? et comment le Mot tertia signifierait-il ici autre chose que la troisième partie du domaine divisé? Les traits particuliers viennent à l’appui. Nous venons de voir le roi barbare réservant à sa propre libéralité le droit de disposer, au profit d’un Goth, même de ce tiers unique destiné au Romain; or Sidoine Apollinaire, dans sa correspondance, signale plus d’un exemple de ces grâces ou de ces refus arbitraires. Lampride, rhéteur bordelais, a recouvré son domaine par la seule faveur du roi Euric. Sidoine l’en félicite en rappelant Virgile, victime, lui aussi, d’une violente spoliation que répara une faveur princière :


Tu jam, ô Tityre, rura post recepta,
Myrtos inter et platanona pervagatus
Puisas Larbyton.


Lampride pouvait répondre par des sentimens de condoléance aux félicitations de son ami. En effet, Sidoine, par suite de la mort de sa belle-mère, avait dû entrer en possession d’un petit héritage, d’un de ces tiers que les Goths étaient tenus de respecter. En vain s’était-il rendu à Bordeaux pour invoquer la faveur d’Euric; le roi, occupé, dit-il, de répondre à l’univers soumis, n’avait pas eu le temps d’écouter sa prière. En vain, pour hâter la conclusion, offrait-il de sacrifier la moitié de ce tiers; il ne put rien obtenir. C’étaient en effet des vaincus, ces grands personnages de Rome ou de la Gaule; c’était un vaincu, ce Paulin de Pella, riche propriétaire bordelais, qui, dans son petit poème de l’Eucharisticum, contemporain de la conquête, nous a transmisses gémissemens. S’il ne reçut pas tout d’abord quelque hôte barbare sur son cher domaine, ce fut pour le voir exposé davantage encore au pillage des soldats. La malencontreuse dignité de comte des largesses sacrées qu’Attale, cette ombre d’empereur, lui avait conférée en un tel mo-