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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/363

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parcimonie d’autographes lui fit quelques ennemis ; il arriva un jour qu’un certain abbé qui lui avait envoyé une traduction d’Horace et n’avait reçu de lui aucun billet admiratif s’avisa de le rappeler à l’humilité chrétienne. Le reproche fut sensible à Manzoni, et l’abbé eut sa lettre, où l’accusé se défendait de son mieux, disant qu’en effet il n’était pas assez humble, bien qu’il eût sujet de l’être, mais que dans ce cas on lui imputait mal à propos le péché d’orgueil, car c’était par défiance en son propre jugement qu’il évitait de donner son avis sur les écrits des autres. Avec Giusti cependant il se gênait moins, et lui mandait pour toute justification : « Les bavardages, principalement avec les amis, et très principalement avec les amis tels que toi, j’aime à les faire et non pas à les écrire. » Giusti ne fut pas satisfait de cette phrase. « Signor Sandrino, répondit-il, ne soyez pas si avare de vos conseils pour celui qui vous honore comme un père. Nous sommes de ceux qui, en regardant vers vous, savent qu’ils regardent en haut, et cette façon de regarder en haut ne nous fait pas mal au cou. »

Ce fut donc Giusti qui, à la mort de Fauriel, vint le remplacer dans l’affection de Manzoni, et continuer ou reprendre avec lui les conversations de Sainte-Avoie et de la Maisonnette. Sainte-Beuve a raconté ici même[1] ces longues causeries entre le futur auteur et le futur traducteur de Carmagnola et d’Adelchi. Ce qu’ils cherchaient ensemble, c’était l’accent du cœur, la sincérité de l’émotion et de l’expression. Manzoni se préoccupait déjà de sa langue, et nous enviait la nôtre, qui est une pour toutes les parties de la France et pour toutes les classes de la société. Il nous enviait surtout cette règle commune et universellement acceptée qui nous vient non pas de l’école, mais de l’usage, et, quand il voyait chez nous tout un public se divertir aux comédies de Molière, il regrettait que Meneghino fût forcé, pour être compris, de parler en milanais. Cette pauvre Italie était morcelée en autant de dialectes que de villes et de villages ; ses habitans n’avaient pour communiquer entre eux que de mauvaises routes et un idiome non moins dégradé, une langue morte qu’on apprenait à l’école, qui n’était soumise à aucune discipline, et qui, loin de se développer et de se perfectionner, se corrompait au contraire par l’œuvre des siècles et le caprice des écrivains. Tel était le sujet des entretiens de Manzoni avec Fauriel sous le premier empire, et cette préoccupation le poursuivit jusqu’à la fin du second. En 1832, Pietro Giordani, qui fourrait un peu son nez partout (le mot est de Leopardi), s’inquiétait des études du poète lombard « sur le purisme. » Quand Manzoni allait à Flo-

  1. Voyez, dans la Revue du 1er juin 1845, l’étude sur Fauriel.