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Massimo d’Azeglio, disait en effet à qui voulait l’entendre : « J’ai pris la plume parce que je ne pouvais encore prendre l’épée, et je n’ai écrit que pour exciter mon pays. » M. Guerrazzi, en termes non moins francs : « J’ai écrit ce livre, parce que je ne pouvais gagner une bataille. » La préoccupation des romanciers, c’était donc l’Italie, et l’Italie présente ; ils ne racontaient le bon vieux temps, la bataille de Bénévent, le défi de Barletta et d’autres histoires pareilles que pour remuer la fibre nationale et pour être désagréables aux Tedeschi. Gianbattista Niccolini pointait aussi contre eux ses tragédies, même quand il avait l’air de rappeler les Vêpres siciliennes ; on sait qu’à la première représentation de son Giovanni da Procida le ministre d’Autriche dit au ministre de France : « L’adresse est à votre nom, la lettre est pour moi. » Dans son Arnaldo de Brescia, le même poète attaquait non pas seulement le despote qui était à Milan, mais encore celui qui était à Rome. Ugo Foscolo avait mis de la politique jusque dans une imitation échauffée de Werther. Gioberti faisait de la métaphysique pour prouver que son pays était le premier du monde ; tous enfin, y compris le doux Silvio Pellico, produisaient une littérature pleine de réticences et d’a parte séditieux. — Les faiseurs de sonnets cachaient dans leurs roucoulemens leur manière de penser sur les affaires du jour ; même dans un bouquet à Chloris, l’opposition (et tous en étaient) savait insinuer les couleurs de ses cocardes. Le public comprenait à demi-mots et applaudissait des deux mains ; il y eut des succès éclatans et accrus par les tracasseries de la censure et les duretés maladroites de ceux qui étaient les maîtres ; mais ces triomphes d’occasion ne durent pas. Un jour vient tôt ou tard où la passion est refroidie ou détournée, on a changé d’ennemis, on n’en veut plus si fort aux bourreaux de Jeanne d’Arc, « aux Anglais qui vont voir mourir une femme ! » Le vieux drapeau est démodé, les lauriers et les guerriers riment mal, ceux qui chantaient la gloire sont compromis par ceux qui l’ont exploitée, nous avons vu tout cela en France, et l’Italie a connu comme nous ces reviremens d’opinion : elle a pu aimer à Magenta la nation dont elle se défiait depuis Campo-Formio ; elle a pu acclamer à Sadowa la race qu’elle exécrait à Novare. Peu à peu les anciens cris de rage commencent à paraître exagérés, et l’on trouve naïfs ceux qui se mettaient si fort en colère. Tous les jeunes gens, qui n’ont pas souffert sous les anciens maîtres, arrivent en scène avec les doutes où se complaisent les gens heureux ; pour eux, le carcere duro, c’est du mélodrame, et le Spielberg une mystification ; on vivait fort bien dans les bagnes du roi Ferdinand, « les martyrs » étaient de mauvais plaisans qui abusaient de la crédulité publique. C’est ainsi que les