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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/387

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Toutes ces mains se tendirent vers celui qui sortait d’un pas franc et l’air ranimé, mais aucun ne parla : que pouvait dire de plus une prière ? — « Il y a une Providence, pensa Renzo, et, plongeant une main dans sa poche, il la vida de quelques sous qui y restaient, les mit dans la main la plus proche et reprit sa-route. » Voilà toute la prédication de Manzoni. Est-il donc juste de penser que son œuvre est une réhabilitation du froc et de la soutane ? Nous savons bien, et le pieux Cantù l’avoue lui-même, que les prêtres étaient rarement bons au bon vieux temps, qu’ils donnaient au peuple de mauvais exemples d’avarice, de gourmandise et de malpropreté ; qu’au temps des Fiancés, particulièrement, on pouvait citer tel homme du clergé qui, embusqué dans son église, tombait sur les passans, les détroussait, les tuait et les enterrait. M. Cantù ne dit pas s’il leur avait donné préalablement l’absolution. Manzoni eût-il dû nous montrer une pareille figure ? — Oui, pensent quelques philosophes, mais ils se trompent et ne comprennent pas bien les intérêts de leur maison. Si le romancier eût mis en scène un de ces curés malandrins, bien des lecteurs eussent pensé : « Les nôtres valent pourtant mieux ; ils n’arrêtent pas les diligences. » Au contraire, en nous présentant son admirable Borromée, Manzoni nous fait mesurer l’abîme qui sépare la réalité de l’idéal, et crée un évêque d’Yvetot qui fait honte à la plupart des prélats italiens. En réalité, notre poète catholique était un réformateur qui eût voulu ramener l’église à la simplicité, à la moralité primitive ; si son roman paraissait aujourd’hui, l’on y verrait quantité de préceptes séditieux, d’allusions frauduleuses, et il est fort à présumer qu’on le mettrait à l’index.

— Mais, objecte-on encore, ce qu’il prêche toujours, c’est la soumission, le renoncement, la résignation, le pardon des offenses, et ses plus grands héros n’ont que des vertus de femme ; son Adelchi se présente comme un miracle d’abnégation. Son Napoléon n’est qu’un instrument dans les mains de la Providence, et une hauteur superbe qui finit par se prosterner devant l’opprobre du Golgotha. Cette gloire fut-elle une vraie gloire ? Silence ! courbons nos fronts devant l’auteur suprême qui veut marquer plus largement en certaines créatures le sceau de son esprit créateur ! — Est-ce ainsi qu’il faut abaisser l’homme ? Sont-ce des maximes pareilles qui relèvent et qui exaltent les cœurs ? Convenait-il en particulier de conseiller ces vertus passives à un moment où la Lombardie, où l’Italie entière de Venise à Naples était sous le talon de l’étranger ? Ah ! oui, soyons chrétiens, baissons la tête, pardonnons les offenses, mais avant tout fuori i Tedeschi ! (hors d’ici les Allemands !) criait-on sur les lagunes. Et il y a maintenant sur le Rhin une autre Venise qui en dit peut-être autant. — Ici nous admettons l’objection, qui