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reconquis votre indépendance en combattant pour le roi et la patrie. Oh ! les beaux jours ! un âge de justice semblait se préparer ; mais bientôt parut une génération impie qui détruisit les semences fécondes. Chacun réclame des droits, nul ne songe au droit. La liberté qu’ils veulent est la liberté sans Dieu. Ils appellent la vie et embrassent la mort. Rassure-toi pourtant ; la justice que j’aime, ma justice idéale vit encore dans deux cœurs, le cœur du roi et le cœur de son fils. C’est pour ce fils que le père brave les tempêtes, afin de lui conserver le trône libre. C’est ce fils un jour qui donnera la liberté à ses peuples. Il protégera tout ce qui est grand, il élèvera tout ce qui est humble, il s’appuiera sur le passé pour assurer l’avenir, il prendra toutes les pierres vénérables des anciens âges pour construire la cathédrale de la jeune liberté. » C’est là certainement une glorification de l’esprit de la sainte-alliance ; remarquons-y cependant cet appel aux innovations où percent déjà les causes de dissentiment qui éclateront si vivement par la suite.

Le singulier poème que nous venons d’analyser porte ce titre : Astrée, vision que j’ai eue au Capitole le 22 janvier 1837, écrite le 18 avril et remise au prince royal à Sans-Souci le 19 août. Bunsen avait été mandé à Berlin au mois d’août 1837 pour des affaires très compliquées où la justice primitive d’Astrée aurait eu grand’peine à se reconnaître. Il s’agissait d’un conflit entre le gouvernement prussien et la cour de Rome au sujet de l’archevêque de Cologne. Tant que le système de la restauration n’avait pas subi d’atteinte, il n’y avait eu que de bons rapports entre Rome et la Prusse. On se rappelle la visite de Frédéric-Guillaume III à Pie VII en 1822. Léon XII, successeur de Pie VII en 1823, et Pie VIII, qui remplaça Léon XII en 1829, continuèrent ces relations amicales auxquelles M. de Bunsen contribua très utilement par sa déférence et sa bonne grâce. Ce protestant évangélique était tout à fait une persona grata auprès du Vatican. Après 1830, les choses changent de face. Il n’y avait pas de concordat entre la Prusse et le saint-siège, il n’y avait qu’un bref de Pie VII, lequel, accepté avec bienveillance par le roi Frédéric-Guillaume III, demandait de part et d’autre un grand esprit de conciliation. La politique romaine a souvent excellé dans cet art des tempéramens qui préviennent les brusques ruptures ; souvent aussi elle a risqué des luttes ouvertes. Le conflit engagé entre la Prusse et Rome au sujet des mariages mixtes avait été évité pendant bien des années sous les pontificats de Pie VII et de Léon XII. Le tumulte d’idées qui suivit la révolution de juillet obligea le pape Grégoire XVI à maintenir plus résolument ses droits, en même temps qu’elle amenait le roi de Prusse, si modéré d’ailleurs, à tenir plus compte qu’auparavant des exigences de l’esprit public. La querelle s’envenima. L’archevêque de Cologne fut emprisonné.