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arrêtée, aucun plan à proposer ; mais je désirerais savoir ce que pense des chances de cet avenir suisse le cabinet de Berlin[1]. »

Cette question soumise confidentiellement au cabinet de Berlin fut adressée de la même manière aux cabinets de Vienne et de Saint-Pétersbourg. M. Guizot a raconté dans ses mémoires l’effet qu’elle produisit à Vienne ; il a dit avec quel empressement M. de Metternich l’avait accueillie, essayant d’entraîner le gouvernement français dans une action beaucoup plus prompte et plus ardente qu’il ne convenait à sa politique. M. de Metternich, très occupé alors des dangers qui menaçaient l’Autriche en Italie, n’eût pas été fâché de mettre sur les bras de la France une grosse affaire qui ne lui aurait pas laissé le loisir de donner toute son attention aux complications italiennes. M. de Bois-le-Comte, ministre de France à Berne, quoique très d’accord au fond avec M. de Metternich sur la nécessité d’une action commune à exercer en Suisse, avait parfaitement démêlé et signalé à M. Guizot les motifs intéressés du ministre autrichien,[2]. Tout cela est exposé par l’illustre homme d’état français avec de nombreux détails si heureusement choisis, si habilement mis en œuvre, que l’intérêt ne se ralentit pas un instant ; comment donc se fait-il que la réponse du cabinet de Berlin aux questions posées dans la lettre de M. Guizot n’y soit pas indiquée ?

Un peu plus loin, au sujet de l’attitude équivoque de l’Angleterre, quand le moment est venu pour toutes les puissances d’agir diplomatiquement en commun pour arrêter la guerre civile en Suisse, M. Guizot mentionne en passant le vif mécontentement du cabinet de Berlin. A part cette mention rapide, je ne trouve rien dans son beau récit qui se rapporte aux projets du gouvernement prussien et aux dispositions personnelles du roi. Notre ministre à Berlin n’avait-il pas eu l’adresse de les découvrir ? ou bien Frédéric-Guillaume IV, aimant mieux, s’il était possible, s’engager de reconnaissance envers l’Angleterre qu’envers la France, évitait-il de traiter ces questions avec le gouvernement français, dont il connaissait d’ailleurs les vues hostiles au radicalisme et favorables à la pacification de la Suisse ? Quoi qu’il en soit, ce silence est surprenant, et quand on voit avec quelle verve Frédéric-Guillaume IV parlait des affaires de Suisse, quelle passion impétueuse il y apportait, quelles idées générales de politique européenne se mêlaient pour lui à ces événemens du Sonderbund, on s’étonne qu’il n’en

  1. M. Guizot, Mémoires, t. VIII, p. 443.
  2. « C’était là au fond, le vrai motif de l’insistance inquiète et impatiente du prince de Metternich pour notre prompte et compromettante intervention. » — « L’Italie absorbe la politique de l’Autriche, » m’écrivait avec sagacité M. de Bois-le-Comte. » — Mémoires, t. VIII, p. 456.