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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/54

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riage avec un baron du pays d’Aumarie naquit le grand Saladin, le Charlemagne de l’Orient.

Malgré l’invraisemblance de ces données romanesques, les fictions dont les conteurs du XIIIe siècle avaient enguirlandé la tragique aventure d’Adèle de Ponthieu ont été prises au sérieux par quelques érudits naïfs ; elles ont fourni à un poète justement oublié du XVIIIe siècle, à Saint-Maur, le sujet d’un opéra en cinq actes qui fut joué en 1771 à l’occasion des noces du comte de Provence, et qui obtint un succès prodigieux, parce que l’auteur, dit Sainte-Beuve, y avait pour la première fois remplacé par les fêtes de la chevalerie les ingrédiens de la magie mythologique.

Placé dans une position militaire très importante, Saint-Valéry est l’une des villes du nord qui ont le plus cruellement souffert des guerres du moyen âge. Pris par Richard Cœur-de-Lion, par Charles-le-Mauvais, par les Anglais, les Bourguignons, les Espagnols, et toujours repris par les Français, il a vu vingt fois sa population égorgée, ses navires incendiés dans le port[1] ; mais il s’est toujours relevé de ses ruines, parce qu’il trouvait dans son commerce les élémens d’une prospérité toujours renaissante, et que les rois, pour l’aider à réparer ses pertes, lui accordaient après chaque désastre l’exemption du ban, de l’arrière-ban, de la taille et surtout de la gabelle, ce qui lui permettait de se livrer en grand à l’industrie des salaisons, industrie aujourd’hui complètement perdue sur le littoral de la Somme.

À part la tour d’Harold, quelques arcades gothiques de l’abbaye et deux ou trois belles tours de la vieille enceinte sous lesquelles s’étendent de vastes souterrains, Saint-Valery n’offre rien de remarquable à la curiosité de l’archéologue. L’église, bâtie en galets et en pierres noirâtres rongées par le vent de mer, s’élève sur une plate-forme du haut de laquelle l’œil embrasse un horizon magnifique ; elle date des premières années du XVe siècle, et ne contient que quelques tableaux de médiocre valeur, mais il serait facile d’illustrer ses murailles d’un noble et patriotique monument. Il suffirait de deux tables de marbre noir : on y inscrirait les noms des vaillans marins qui, nés à Saint-Valery, ont tenu si haut notre pavillon pendant les guerres de la république et de l’empire : Ricot, Blavet, Lambert, Darras, Ravin, Châtelain, Malingre, Lejoille et Perrée. Sur les huit vaisseaux de haut bord que nous avons en-

  1. Pour faire juger de ce que fut la destinée de certaines villes picardes, nous donnons ici les dates des sièges que Saint-Valery eut à soutenir : 1197, — 1338, — 1339, — 1417, — 1421, — 1422, — 1433, — 1434, — 1435, — 1436, — 1471, — 1472, — 507, — 1589, — 1592, — 1593.