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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/545

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inséparable de la liberté, sur la responsabilité effective de chacune de ces libertés qui composent le milieu social, enfin sur l’accord réciproque de toutes ces libertés entre elles, qui est la justice.


II

L’école matérialiste détruit radicalement le droit de punir et ne peut y substituer que les expédions de la force. M. Littré, partant du déterminisme comme M. Moleschott, a-t-il été plus heureux dans l’explication qu’il a proposée du principe de la responsabilité sociale au nom du positivisme français ? L’analyse d’un travail récent sur l’Origine de l’idée de justice, la conception fondamentale qui en ressort, nous mettront à même de répondre à cette question. M. Littré ne se distingue pas seulement des idéalistes qui admettent un sens primitif du juste et de l’injuste nous dictant ses lois et gouvernant notre conduite ; il se distingue également et des sensualistes, qui rapportent la justice à l’intérêt individuel bien entendu, et des utilitaires, qui la rapportent à l’intérêt collectif. Il a marqué sa place à part, en dehors de ces diverses doctrines, en ramenant l’idée de la justice à un fait purement intellectuel, extrêmement simple, véritablement intuitif, celui qui constate l’identité de deux objets. « A égale A, ou A diffère de B, est le dernier terme auquel tous nos raisonnemens aboutissent comme futur point de départ. Cette intuition est irréductible ; on ne peut pas la dissoudre, l’analyser en d’autres élémens… Telle est aussi l’origine de l’idée de justice. Cette idée est une notion purement intellectuelle portée dans le domaine de l’action et de la morale. »

La justice se résout dans la notion de l’identité. Attribuer à chacun ce qui lui revient, n’est-ce pas reconnaître pratiquement que A égale A, ou qu’un homme égale un autre homme ? D’où la nécessité sociale d’exiger que la part de l’un ne soit pas diminuée par l’usurpation de l’autre, et, si cette usurpation a lieu, de la réparer. Voilà le lien logique et le passage entre l’idée de la justice et l’idée de la pénalité. — Voyons maintenant ces deux idées en fonction dans l’histoire. Examinons d’après M. Littré comment la première de ces idées s’est formée au sein de la seconde, qui a été réellement l’idée-mère, l’idée génératrice. L’ordre historique du développement de ces deux notions, ou mieux des deux élémens de cette nation unique, est en raison inverse de leur apparition dans l’esprit au degré de civilisation où nous sommes. Aujourd’hui l’idée de la peine nous paraît être une application de l’idée de la justice sociale. C’est une illusion psychologique, ou plutôt un résultat secondaire de faits primitifs élaborés et combinés. Cette notion d’une justice instituée pour punir est une notion acquise et