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équitable, mais ceux qu’elle pourrait fournir ne sauteront jamais aussi aisément des yeux à la pensée que cette figure d’Hercule avec sa massue et sa peau de lion qui dit tout par son seul nom. Loin donc de blâmer ce prétendu mélange du profane et du sacré, nous trouvons au contraire qu’il est ici d’une application très légitime et très intelligente. Ce qu’il fallait blâmer, ce n’est pas la pensée de l’artiste, c’est l’exécution de cette pensée ; ce n’est pas le choix des figures, c’est leur profonde insignifiance. Ces allégories n’ont en vérité aucun caractère ; ce Mars est un jouvenceau imberbe qui a l’air d’Achille qu’on vient de découvrir parmi les femmes de Scyros, et si par hasard l’artiste a voulu faire allusion à ce mélange de séduction et de vaillance qui distingua le duc de Montmorency, il a sinon atteint, au moins visé le but. L’Hercule, plus étudié, n’en est pas moins la banalité même ; c’est une figure bonasse qui n’est remarquable que par cette désagréable exagération de muscles et de pectoraux par laquelle les sculpteurs de cette époque ont trop souvent exprimé la force. Les figures de la Religion et de la Charité sont meilleures, surtout celle de la Charité ; elles plaisent parce que la grâce même sans caractère et sans profondeur sera toujours agréable à contempler, pourtant cette grâce est leur seul mérite, et elles ne disent rien à l’esprit, sinon qu’elles sont deux jolies femmes, dont l’une a quelque inclination à la mélancolie, tandis que l’autre est d’humeur suffisamment sereine et bien équilibrée.

En réalité, parmi toutes ces figures, il n’y en a qu’une de vraiment belle, celle de la duchesse ; mais celle-là est presque sublime. En la regardant, nous nous sommes rappelé cette âme que Dante rencontra dans le purgatoire et qu’il nous a représentée

Ficcando gli occhi verso l’Oriente,
Come dicesse a Dio, d’altro non calme.

Elle est assise avec le noble abandon d’une personne qui n’a plus souci d’elle-même, les mains jointes et ramenées sur ses genoux comme par lassitude ou par l’effet d’une pieuse résignation, les yeux dirigés vers le ciel avec une fixité et une sorte d’élan triste et doux qui disent qu’ils ne s’en détourneront jamais plus. Ce regard espère, attend, appelle, cherche la patrie où l’âme, désormais étrangère sur la terre et sans autre compagne que la douleur, sera réunie de nouveau à tout ce qu’elle a aimé pour n’en plus être séparée. Autant l’artiste nous semble avoir manqué de tact pour la figure du duc de Montmorency, autant il a rencontré une inspiration délicate pour celle de la duchesse. Mme de Montmorency fut, dit-on, surprise de se reconnaître sous les traits de cette femme désolée, et elle voulut d’abord faire disparaître la statue, mais les