Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/601

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une compagnie était-elle désignée pour entrer en campagne, les officiers partaient à la tête d’un ramassis de gens sans aveu, étrangers au métier des armes comme à toute idée de subordination. « Semblable à l’hydre de la fable, » l’odjak des janissaires avait pu, aux temps des Soliman, des Bajazet, des Sélim et des Amurat, « présenter à chacun des souverains de l’Europe une de ses gueules menaçantes ; » depuis un demi-siècle, ce monstre édenté n’était plus redoutable qu’à ses maîtres et aux populations paisibles habituées à trembler sous son despotisme. Uni à l’ordre fanatique des derviches becktachis, à la corporation puissante des hammals (portefaix), couvrant le territoire de l’immense réseau de ses affiliations, l’odjak en 1826 était bien moins une armée qu’un parti. On a comparé les janissaires aux prétoriens, aux mamelouks, aux strélitz ; on eût pu tout aussi bien comparer cette vaste association aux templiers, aux ligueurs ou aux jacobins. Toucher à l’organisation d’une semblable milice, ce n’était pas seulement réformer l’armée, c’était bouleverser l’état social.

La formation d’un corps de troupes disciplinées destiné à tenir en bride les janissaires avait été l’ambition de plusieurs sultans. Le père de Mahmoud, Abdul-Hamid, monté sur le trône en 1774, donna aux artilleurs un uniforme, une caserne aux soldats de marine. En 1806, le sultan Sélim fit venir de Caramanie 16,000 hommes qu’il se proposait de faire exercer à l’européenne. Ce corps reçut le nom de Nizam-Djedid. Arrivé à Constantinople, le nouveau corps se prit de querelle avec les troupes de formation plus ancienne qui avaient eu jusqu’alors la garde des châteaux et des batteries du Bosphore. Après deux jours de massacres dans lesquels périrent tous les ministres partisans de la périlleuse réforme, le Nizam-Djedid fut dissous, le pieux et doux Sélim fut déposé. Quelques mois plus tard, le pacha de Routschouk, Moustapha-Baïrakdar, forçait à son tour les portes du sérail. Il se flattait de pouvoir replacer Sélim sur le trône ; il ne fit que précipiter son destin. Le sérail en s’ouvrant n’avait livré au pacha de Routschouk qu’un cadavre. Ce fut Mahmoud II qui reçut la couronne arrachée le 28 juillet 1808 du front de Moustapha IV. Le cordon fit justice des officiers impliqués dans la sédition, mais quelques mois plus tard les janissaires prenaient leur revanche. Assiégé dans son palais, que les révoltés venaient de livrer aux flammes, le terrible vizir périt asphyxié. Moustapha-Baïrakdar avait régné du 28 juillet au 14 novembre sous le nom du souverain qu’il avait donné pour successeur à Sélim. Pendant son trop court passage aux affaires, il s’était occupé de créer quelques ortas modèles qui prirent l’appellation de seymens réguliers ; il avait également rappelé à Constantinople les débris du