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la vie, des instrumens dévoués et résolus. Mahmoud les chercha dans les rangs mêmes de ceux qu’il se proposait de détruire. D’un janissaire insubordonné qui avait tué le chef de son orta, il avait fait l’aga de cette milice. Il voulut l’élever plus haut encore. Il le fit pacha à trois queues, séraskier, gouverneur des châteaux du Bosphore. Odieux aux janissaires par les actes de sévérité dont tout Constantinople gardait le souvenir, Hussein, — la chose était certaine, — ne reculerait pas. Il était le chef désigné du dénoûment fatal ; le prologue de la tragédie exigeait d’autres personnages. Les ministres s’occupèrent de gagner parmi les officiers de l’odjak tous ceux qui jouissaient de quelque crédit dans le corps. Plus d’un mois fut employé à opérer ce travail souterrain. Enfin dans les premiers jours de juin on se jugea prêt pour l’exécution. Nedjib-Effendi revint en toute hâte de Missolonghi avec des instructeurs égyptiens, et on décida la formation d’un nouveau corps de troupes régulières analogue au corps déjà ancien et fidèle des topchis. 50 ortas furent appelées à fournir chacune 150 hommes. Ces soldats prirent le nom de muellem-ekindjis, — troupes légères disciplinées — ou yurukdjis, — mot qui se retrouve dans les ordonnances du grand Soliman. Ils devaient recevoir une assez forte paie, un uniforme par an, un fusil, mais un fusil sans baïonnette, car on voulait, tout en innovant, éviter l’apparence de trop grandes nouveautés. Il importait surtout d’éloigner toute idée de Nizam-Djedid ; cette expression seule eût éveillé trop d’inquiétude et de haine parmi les vainqueurs de 1807 et de 1808.

Il était essentiel d’associer la religion à l’établissement du nouvel ordre de choses. Le Coran n’est pas seulement la loi civile et la loi religieuse de la société musulmane, il en est aussi le code militaire. « Les seuls jeux des hommes, a dit le prophète, auxquels assistent les anges sont le tir de l’arc et les courses. » La cérémonie eut lieu sur la place de l’Et-Meïdane le lundi 12 juin avec une pompe extraordinaire, en présence des ulémas, des chefs des janissaires et d’un nombreux concours de spectateurs. On assure que le grand-vizir, Mohammed-Sélim-Pacha, et l’aga des janissaires, Mohammed-Djé-al-Eddin, donnèrent les premiers l’exemple. Ils relevèrent les fusils placés devant eux et exécutèrent les commandemens de l’instructeur égyptien. Les officiers les imitèrent ensuite, pendant que les soldats se tenant à distance contemplaient silencieusement ce spectacle. Tout se passa ce jour-là dans le plus grand ordre. C’eût été folie cependant de s’imaginer que les janissaires laisseraient sans résistance s’établir une organisation qui devait fermer la porte aux abus et les courber insensiblement sous le joug de la discipline. Il faudrait donc à l’avenir résider et vivre dans les casernes,