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fournitures de tout genre qu’on tira du rebut des magasins. Dès le mois de décembre 1824, un nouveau gouffre s’ouvrait pour les finances obérées de la Grèce. Aux escadrilles de bricks et de brûlots, on songea tout à coup à substituer une force navale « plus solidement constituée. » Des délégués furent envoyés en Angleterre et aux États-Unis pour y acheter deux ou trois frégates ; l’on vit ce peuple indigent, qui n’avait plus le moyen de solder ses matelots ou ses troupes, demander aux chantiers dispendieux de New-York des navires de soixante canons. Un seul de ces bâtimens, la frégate l’Hellas, fut livré vers la fin de l’année 1826. C’était à vrai dire une superbe frégate, une frégate magnifiquement armée, mais qui avait coûté près de 3 millions de francs. Une dépense plus utile et plus intelligente fut celle que conseilla un philhellène anglais, le capitaine Hastings. Ce vaillant officier, qui devait perdre la vie au service de sa patrie adoptive en essayant de reprendre sur les Turcs la place d’Anatolikon, était vraiment digne de combattre à côté drs Miaulis et des Canaris. Nos capitaines, dans les rapports que j’ai sous les yeux, ne parlent de lui qu’avec une profonde estime. Hastings avait l’esprit ingénieux. Il abandonna les sentiers battus et proposa, dès 1825, l’acquisition d’un navire à vapeur.

La marine, à laquelle le génie de Fulton avait donné la vie, était encore à cette époque dans l’enfance. Neuf années s’étaient à peine écoulées depuis le jour où le lieutenant-général comte Pajol obtenait, de concert avec M. Andriol, ancien négociant, le privilège exclusif « d’introduire en France et de perfectionner un système de navigation accélérée par l’emploi des pompes à feu. » Le bateau l’Élise partit de Rouen pour Paris le lundi 25 mars 1816. Le vendredi 29, il était amarré près du pont de l’École militaire ; mais les pilotes de la Seine s’étaient obstinément refusés à franchir les passages délicats du fleuve sans « le secours de deux bons chevaux. » Le bâtiment qu’amena dans le Levant vers la fin de l’année 1826 le capitaine Hastings ne rappelait plus, comme le bateau l’Élise, la Grande Serpente de l’Amadis des Gaules ; il était bien inférieur au Sphinx, que nous employâmes quatre années plus tard dans l’expédition d’Alger. Le capitaine Le Blanc nous a laissé une description fort détaillée de la Persévérance, — telle était la signification du nom grec que le capitaine Hastings avait choisi pour son pyroscaphe. Construite à Deptford et munie à Londres d’une machine de 84 chevaux, la Persévérance n’atteignait pas sans peine la vitesse de 5 ou 6 milles à l’heure. Le moindre vent contraire diminuait de moitié ce sillage ; une mer houleuse « le faisait tomber à zéro. » Toutefois c’est un si grand avantage de pouvoir marcher en dépit du calme, d’avoir la faculté de remonter dans le vent, que tous les esprits sérieux auraient dû, dès cette