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désolés témoins. Un très petit nombre eut le courage de persévérer. Ils restèrent ainsi attachés à la fortune du chef qu’ils avaient choisi, obligés à regret d’épouser ses querelles, et maudissant souvent la destinée qui les retenait dans de tels liens. Un seul homme parmi ces ouvriers de la première heure réussit à se créer en Grèce une importance et un rôle personnels. Qui s’est intéressé à la révolution grecque et n’a pas entendu cent fois rendre hommage au nom de Fabvier ? La réputation de lord Cochrane n’était pas mieux assise que celle de ce vaillant soldat. Sorti de l’École polytechnique en 1804, nommé chef d’escadron après la bataille de la Moskowa, Fabvier était devenu pendant la campagne de Saxe colonel, baron de l’empire et chef d’état-major de plusieurs corps d’armée réunis. Un tel homme n’eût pas été déplacé à la tête d’une armée européenne ; il ne dédaigna pas en Grèce l’humble rôle de soldat palikare. On le vit plus d’une fois prendre part de ses propres mains aux travaux les plus pénibles. L’amiral de Rigny, — le lecteur doit s’en souvenir, — nous a transmis l’impression d’étonnement, de terreur, qui se produisit parmi les paysans moréotes quand ils se trouvèrent en présence des bataillons réguliers d’Ibrahim. « Habitués à combattre en désordre des Turcs en désordre comme eux, » ils ne purent supporter l’aspect de ces masses « qui marchaient impassibles sur leurs pelotons épars. » Les armes, les manœuvres, la musique militaire, les tambours, tout leur sembla étrange et les remplit d’une émotion inconnue. Il n’y eut qu’une voix alors pour demander la formation d’une armée régulière. « Les Grecs, écrivait l’amiral, voudraient avoir des Suisses. » Le 4 juillet 1825, le colonel Fabvier fut investi par acte du pouvoir existant du soin d’organiser le premier bataillon de tacticos. La voix populaire le désignait, et les palikares n’auraient pas accepté d’autre choix. Quelques petits travaux exécutés sous sa direction à Navarin avaient persuadé aux Grecs que, s’il y fût resté, cette place n’aurait pas été prise. Au mois d’août 1825, le bataillon des tacticos comptait déjà 800 hommes ; il était question de le porter à 3,000 ou 4,000. Le comte Porro de Milan serait l’intendant du corps, Regnault de Saint-Jean d’Angely commanderait la cavalerie. Une loi de conscription fut promulguée le 22 septembre, et le recrutement du corps parut assuré ; mais ce qui ne l’était pas, c’était, comme d’habitude, le paiement de la solde.

Les Anglais se montraient peu disposés à favoriser une organisation qui fendait à augmenter encore l’influence de la France. Ils avaient proposé un colonel anglais ; à ce colonel, on préférait un homme dont le premier sentiment était, au dire de l’amiral de Rigny, la haine de l’Angleterre ? « il la pousse, écrivait l’amiral,