Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/658

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sylvius[1], le physicien Rohault, l’imprimeur Michel Vascosan, qui substitua le type moderne au type gothique dans la typographie, l’orientaliste Masclef, auteur de la première grammaire comparée des langues chaldaïque, syriaque et hébraïque qui ait été publiée en France[2] ; l’astronome Delambre, le naturaliste Duméril, le général de Gribeauval, surnommé le Vauban de l’artillerie, le lieutenant-général Desprez, qui prit une part glorieuse à l’expédition d’Alger ; mais c’est surtout dans l’érudition que les Amiénois occupent un rang hors ligne : il suffit de rappeler les noms de Du Cange[3] et de dom Bouquet. Ces illustres savans ont fait école. Les compatriotes de Du Cange ne se sont point contentés de lui élever une statue, ils ont tenu à honneur de marcher dans la voie qu’il avait ouverte. MM. Bouthors, Rigollot, Butteux, Dufour, Janvier, Hardouin, Garnier, Breuil, Dusevel, Corblet, Goze, Jourdain, Duval, ont publié d’excellens travaux qui embrassent tout à la fois l’histoire de la province et quelques-unes des branches les plus importantes de l’histoire générale. Ils ont formé sous le nom de Société des antiquaires de Picardie une association à laquelle on doit la création du musée d’Amiens, d’intéressans mémoires et une collection de textes sur le modèle des Documens inédits de l’histoire du tiers-état, ce qui est d’un bon exemple pour les autres associations savantes des provinces, car les textes où parlent les morts sont la voix même de l’histoire.

Les arts n’ont pas été représentés moins dignement à Amiens que les lettres et les sciences. Tandis qu’Abbeville produisait une école de graveurs justement célèbre, Amiens voyait fleurir une école de sculpture dont l’existence est constatée dès 1400 par un statut industriel. Cette école, à peu près inconnue dans le reste de la France, a peuplé les églises picardes de bas-reliefs, de statues et de retables, les maisons des nobles et des bourgeois de bahuts et

  1. Dubois fut nommé par François Ier professeur au Collège de France et se rendit aussi célèbre par son avarice que par son savoir et l’élégance de sa diction latine. Dans les froids les plus rigoureux, il se réchauffait en montant de grosses bûches de sa cave à son grenier, et le jour de sa mort l’un de ses collègues déposa sur sa tombe une épigramme latine qui fut ainsi traduite par Henri Étienne :

    Ici git Sylvius, auquel onq en sa vie
    De donner rien gratis ne prit aucune envie,
    Et ici qu’il est mort, et tout rongé de vers,
    Encore ha despit qu’on lit gratis ces vers.

  2. La correspondance inédite de Masclef avec les orientalistes les plus célèbres de son temps est conservé à la bibliothèque publique d’Abbeville. Personne jusqu’ici ne s’en est occupé, et peut-être y trouverait-on des renseignemens intéressans pour l’histoire des études orientales au XVIIIe siècle.
  3. Voyez sur Du Cange l’étude que nous avons publiée dans la Revue du 15 septembre 1853.