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l’instant même un parlementaire alla sommer la citadelle de se rendre. Cette forteresse avait pour toute défense 22 canons à âme lisse, et 350 mobiles dont la plupart étaient d’Amiens. Le capitaine Vogel, un brave Lorrain, qui en était le commandant, refusa de se rendre, et le lendemain 29 l’ennemi, qui avait crénelé les maisons environnantes, ouvrit, après une seconde sommation, une fusillade des plus nourries sur les embrasures des remparts. La citadelle répondit avec succès, mais bientôt le capitaine Vogel, qui ne quittait pas les terre-pleins, fut frappé mortellement. Les Prussiens, pendant ce temps, avaient établi sur des positions dominantes 72 bouches à feu hors de la portée de la forteresse, et le nouveau commandant, jugeant avec raison qu’une résistance plus prolongée ne ferait qu’attirer sur la ville des désastres sans compensation, capitula aux mêmes conditions que Metz et Sedan. Des pourparlers furent entamés entre les habitans et les généraux ennemis pour obtenir que les mobiles d’Amiens qui faisaient partie de la garnison ne fussent pas conduits en Allemagne comme prisonniers de guerre. La demande fut accordée, d’abord sans conditions, mais on fit bientôt comprendre qu’une aussi grande faveur ne pouvait être gratuite, et que la ville, pour garder ses enfans, aurait à verser 1 million. Il fallut s’exécuter. Ce système d’exactions fut depuis pratiqué sur une grande échelle. Le directeur du Journal d’Amiens, M. Jeunet, au lendemain même de l’occupation, avait publié un article commençant et finissant par ces mots : la ville est en deuil. Il fut immédiatement conduit à la citadelle ; on lui signifia que, s’il ne voulait point partir en Allemagne, il aurait à payer 50,000 francs, mais que, par un acte tout spécial de bienveillance, on l’autorisait, dans le cas où il ne pourrait acquitter cette somme en espèces, à donner de bonnes valeurs, au cours du 15 juillet 1870. Nous devons du reste ajouter qu’avant l’évacuation définitive, le roi Guillaume fit restituer le million et les 50,000 francs, comme s’il eût rougi, pour son incomparable armée, des extorsions qu’elle avait commises.

La prise d’Amiens eut des conséquences fatales. L’ennemi s’empara de la ligne de la Somme jusqu’à Péronne d’une part et Abbeville de l’autre ; il coupa nos communications avec Rouen, et l’armée de Manteuffel put revenir sur Beauvais, d’où elle ne tarda pas à menacer de nouveau la Normandie.

L’occupation d’Amiens se prolongea du 28 novembre 1870 au 5 juin 1871, et les Allemands y firent durement sentir leur présence. Tout en affectant une certaine politesse dans leurs relations avec les habitans chez lesquels ils étaient logés, ils les blessaient profondément par leur morgue et l’absence complète du plus vulgaire sentiment des convenances. Enorgueillis de leurs succès, ils en semblaient en même temps tout étonnés, et l’on eût dit qu’ils