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L’évêque pria, supplia avec la plus chaleureuse insistance, on lui répondit « d’aller dire ses messes » et de ne point se mêler de ce qui ne le regardait pas. Mme Parmentier alla se jeter aux pieds du préfet Lansdorff, qui d’abord avait montré des dispositions bienveillantes. « Ne comptez pas sur l’indulgence, lui dit-il, il faut un exemple. Il y a d’ailleurs une volonté plus forte que la mienne. » C’était cette volonté mystérieuse qu’on invoquait toujours lorsqu’il s’agissait de commettre quelque iniquité : malgré tout, on espérait encore, lorsque le samedi 4 février Mme Parmentier, qui se rendait à la citadelle avec sa fille âgée de dix ans pour porter quelques provisions à son mari, le rencontra, entouré d’une nombreuse escorte, à la sortie des ponts de la forteresse. « Où vas-tu, mon pauvre ami ? » lui dit-elle. Aussitôt quelques soldats se détachent de l’escorte, ils courent après la fille et la mère aux cris de furth ! furth ! et n’abandonnent la poursuite qu’à la vue de quelques habitans, comme s’ils avaient rougi de charger deux faibles femmes à la baïonnette. Pendant ce temps, l’escorte descendait avec la victime dans les fossés. Un prêtre français, réquisitionné par le commandant, s’approchait de Parmentier et lui donnait les secours de la religion, tandis qu’à quelques pas un Prussien creusait une fosse ; mais tout à coup des ouvriers terrassiers, qui travaillaient à quelque distance, accourent en grand nombre. Un ordre est donné du haut des remparts ; le fossoyeur quitte sa pioche, et l’escorte rentre dans la forteresse avec le prisonnier. Le bruit se répand dans Amiens que la grâce est arrivée. Chacun se félicite ; mais le préfet Lansdorff avait dit qu’il fallait un exemple, et l’on ne sut que trop tôt à quoi s’en tenir. On avait entendu un feu de peloton dans la citadelle, et le respectable prêtre qui avait assisté Parmentier, M. Villepoix, vicaire de Saint-Leu, revint pâle et les yeux mouillés de larmes annoncer que la cruauté prussienne était satisfaite, et que Parmentier, frappé de douze balles, était mort en brave et en chrétien. Sa femme lui avait porté des habits neufs pour comparaître décemment devant le conseil de guerre. Les autorités prussiennes renvoyèrent à la malheureuse veuve les vieux habits troués de balles ; ils refusèrent de rendre le corps, et, comme les assassins qui font disparaître leurs victimes, ils l’enterrèrent secrètement sans qu’il ait été possible de le retrouver depuis.

Foucaucourt, Cléry et Péronne, que nous rencontrerons dans notre prochaine et dernière excursion, nous apprendront une fois de plus ce qu’il faut penser de la race allemande, dont nous avons entendu tant de fois vanter par des écrivains français la douceur et la civilisation.


CHAULES LOUANDRE.