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que l’Européen retrouve le plus rarement dans les plus belles de ses colonies. Les autres continens présentent souvent, pour des raisons analogues, ce même défaut de la Russie ; le climat du nord des États-Unis ressemble beaucoup à cet égard à celui du sud de la Russie, et les états les plus peuplés de l’Union, ceux de la Nouvelle-Angleterre, New-York et la Pensylvanie, passent presque par des températures aussi extrêmes que les steppes désertes du nord de la Mer-Noire.

Pour être dénuée d’arbres, la Russie méridionale est loin d’être privée de végétation. Dans une grande partie de ce vaste territoire, la richesse du sol compense la parcimonie des eaux. Là où les conditions atmosphériques ne sont point par trop hostiles, la fécondité de la terre est souvent merveilleuse. Pour le sol, pour la culture et la population, toute la zone déboisée se partage naturellement en trois régions différentes, en trois bandes superposées du nord-est au sud-ouest. L’une est la région agricole de la terre noire, la seconde celle des steppes à sol fertile, la troisième celle des steppes base sablonneuse ou saline.

La première, un des plus féconds comme un des plus vastes pays agricoles du globe, occupe la partie supérieure de la zone déboisée à son point de jonction avec la zone des forêts. Participant encore de l’humidité de celle-ci et abritée par elle, la contrée de la terre noire est dans des conditions climatériques beaucoup moins défavorables que les steppes de l’extrême, sud. Elle doit son nom de terre noire, tchernoziom, à une couche d’humus noirâtre, d’une épaisseur moyenne de 50 centimètres à 1 mètre et plus. Ce terreau est principalement composé de marne et d’une moindre proportion d’argile grasse. Il se dessèche rapidement en se convertissant en une fine poussière ; mais avec une égale promptitude il s’imprègne d’humidité, et sous l’action de la pluie reprend l’aspect d’une pâte noire. La formation de cette couche d’une admirable fécondité doit probablement être attribuée à la lente décomposition des herbes de la steppe, accumulées pendant des siècles. Le tchernoziom s’étend en longue bande sur toute la largeur de la Russie d’Europe. Partant de la Podolie et de Kief au sud-ouest, il monte vers le nord-est jusqu’au-delà de Kazan, et, interrompu par l’Oural, il reparaît en Sibérie dans le sud du gouvernement de Tobolsk. Confinant aux régions des forêts, le tchernoziom, surtout dans sa partie septentrionale, conserve encore quelques bois. A mesure que l’on avance vers le sud, ils diminuent de nombre et d’étendue pour disparaître peu à peu. Au milieu des plaines sans bornes, les derniers bouquets de chênes, de trembles ou d’ormes semblent de petites lies perdues dans l’immensité. Les arbres isolés, les buissons même finissent