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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/763

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l’histoire autant qu’à la nature qu’il faut demander les causes de leur inégal développement. Pendant des centaines et des milliers d’années, ces steppes ont été la grande route de toutes les. émigrations d’Asie en Europe ; jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, elles sont demeurées exposées aux incursions des nomades de la Crimée, du Caucase et du Bas-Volga. Pour les assurer à la culture, il n’a fallu rien moins que la soumission des Tatars de Crimée, des Nogaïs des bords de la mer d’Azof, des Kirghizes de la région Caspienne. Avant les steppes du sud, l’agriculture et la population ont naturellement occupé tout le tchernoziom, le premier conquis sur les nomades, ou mieux c’est par le nord qu’elles ont entamé ces immenses plaines, longtemps condamnées à une inutile fécondité par la domination des Asiatiques, car la plus grande partie de la terre noire n’a pendant des siècles formé avec les steppes qu’une région, comme elles n’en feront plus qu’une lorsque ces dernières auront toutes passé sous le joug de la culture.

Égales au tchernoziom pour la fertilité du sol, les steppes n’ont vis-à-vis de lui qu’un désavantage qui rendra leurs progrès plus lents : le climat y est plus excessif et en même temps l’air et la terre plus pauvres en humidité, les bois encore plus rares. Cette sécheresse et ce manque de bois sont des obstacles presque égaux dans un pays où les étés sont très chauds et où les froids de l’hiver réclament d’abondans moyens de chauffage. Au premier défaut il est difficile de trouver un remède, et, grâce à lui, lorsqu’elles seront en culture, les plus fertiles de ces plaines resteront exposées à des années stériles après des années d’abondance. Aujourd’hui le manque d’arbres est peut-être un plus grand obstacle à la population, ainsi privée à la fois de combustible et de matériaux de construction. Pour le chauffage, on n’a que les tiges des hautes herbes de la steppe et le fumier des troupeaux, ainsi enlevé à la terre. De pareilles ressources ne pourraient suffire à une population dense, mais l’achèvement des voies de communication et l’exploitation des mines de houille et d’anthracite, dont cette région est fort bien pourvue, remédieront bientôt à ces inconvéniens, apportant ou remplaçant le bois et rendant le fumier à l’agriculture. Avec toutes ces causes d’infériorité, une grande partie des steppes fertiles a sur tout le reste de la Russie un avantage considérable, redoutable un jour pour leurs concurrens agricoles de l’Occident : la position géographique. Placées aux embouchures des grands fleuves, dans le voisinage de la Mer-Noire et de la mer d’Azof, elles ont vers l’Europe les débouchés les plus faciles et sont même la seule région de la Russie qui ait accès sur une mer libre en toute saison.

Entre cette région des steppes arables et le tchernoziom