Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/802

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

spectacle grandiose. Dans le repas qui fut donné après la cérémonie, Frédéric-Guillaume IV avait à sa droite l’archiduc Jean, vicaire de l’empire ; M. de Gagern, comme président de l’assemblée nationale de toute l’Allemagne, avait réclamé l’honneur d’être placé à la gauche du roi. Le roi répondit que cela était contraire à l’étiquette ; il y avait là des princes de la famille royale, le prince Guillaume son oncle, le prince Charles son frère ; un particulier, fût-il président de l’assemblée de Francfort, ne pouvait avoir le pas sur l’oncle et le frère du roi de Prusse. Le prince Guillaume eut donc la gauche du roi, M. de Gagern fut placé en face. M. de Bunsen remarque dans ses Notes que M. de Gagern se conduisit en vrai gentleman et accepta de bonne grâce la décision du roi. Il n’en est pas moins vrai que tous ces détails étaient significatifs. C’était, sous une autre forme, la reproduction des paroles qui avaient causé la veille une si vive émotion : « souvenez-vous, messieurs, qu’il y a des princes en Allemagne. »

M. de Bunsen le sentit bien lui-même. Il était arrivé à Berlin plein de confiance dans la bonne volonté réciproque de Frédéric-Guillaume IV et du parlement de Francfort ; il avait vu bientôt les prétentions excessives du parlement exciter en Prusse un mécontentement très vif ; enfin, quand il alla reprendre possession de son poste en Angleterre, il ne put se dissimuler que la réaction ne tarderait pas à triompher, — la réaction, c’est-à-dire le retour à cet ancien régime qui avait conduit la Prusse à Iéna. Frédéric-Guillaume IV assurément était passionné à sa manière pour l’unité de l’Allemagne, mais, ne voulant faire aucune concession, il entravait tout. Il avait bien porté un toast, dans les fêtes de Cologne, « aux architectes du grand édifice de l’unité germanique. » Seulement il repoussait leurs plans et niait même leur compétence, tout en buvant à leur succès. Il y avait là de perpétuelles équivoques. Francfort voulait que la Prusse disparût au sein de l’Allemagne ; la Prusse voulait que l’Allemagne vînt s’adjoindre à la Prusse. Écoutez ce que Bunsen écrivait sur ses tablettes au moment de s’embarquer pour Londres. « Quelle situation ! vouloir de Berlin gouverner toute l’Allemagne, c’est une plaisanterie, et pourtant c’est le rêve de la Prusse, de même que le rêve du parlement de Francfort est de mettre la main sur l’armée prussienne, la seule force qui s’oppose encore aux progrès de la révolution. Le roi perd pied dans les difficultés du système constitutionnel, et c’est en dehors de ce système qu’il cherche la force de la royauté… Point de ministres, point d’hommes d’état, point d’obéissance, point de cohésion ; nulle confiance. Oh ! quels rapprochemens avec 1806 ! Ceux qui pourraient quelque chose, ou qui le croient du moins, se tiennent à