Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/828

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mobiles n’avaient ni manteaux ni capotes ; ils tremblaient sous leurs « vareuses en amadou, » et l’on en voyait à tout instant s’affaisser sur le sol. Pas une seule goutte d’eau-de-vie, du pain gelé pour toute nourriture, et seulement de loin en loin quelques feux de bivouac réservés aux blessés. Cependant dès le point du jour cette armée, si durement, éprouvée, prenait ses positions de combat pleine d’ardeur et de confiance. Le temps était clair, le ciel sans nuages, et l’on eût dit que les pâles rayons du soleil d’hiver avaient suffi pour la ranimer. Le général Faidherbe fit tirer quelques coups de canon auxquels l’ennemi ne répondit pas ; nos tirailleurs rejetèrent dans la vallée quelques petits détachemens qui s’étaient aventurés sur les premières pentes, et nos troupes, l’arme au pied et les cartouchières bien garnies, attendaient en silence, lorsque vers midi une forte colonne prussienne arriva d’Amiens, et vint prendre position au-dessus du bois de Querrieux ; on apprit en même temps que d’autres troupes, détachées de la Normandie, menaçaient de déborder notre extrême droite et de nous prendre à revers. Il était impossible, en présence de forces qui grossissaient toujours, de livrer une nouvelle bataille. Le signal de la retraite fut donné à deux heures ; elle fut couverte par une ligne de tirailleurs appuyés par deux batteries de 4, et l’ennemi, malgré les renforts qu’il avait reçus, n’osa point l’inquiéter. Il se contenta de nous suivre de loin, ramassant des éclopés, des malades et des hommes épuisés de fatigue et d’inanition qui restaient dans les villages ou se couchaient le long de la route. « Les troupes de ligne, pendant cette retraite, rivalisèrent, dit l’auteur des Opérations de l’armée du nord, de discipline et de courage. Lorsque nos jeunes soldats apprirent qu’ils allaient entrer dans Arras, ils mirent tous leurs soins, dans une halte aux portes de la ville, à enlever la boue de leurs habits, à nettoyer rapidement leurs armes. Faisant appel à toute leur énergie, ils marchaient gaillardement et s’efforçaient de ne point boiter malgré les blessures qui couvraient leurs pieds presque nus. » Le général Faidherbe plaça son armée derrière la Scarpe ; il s’occupa de la ravitailler, et le 1er janvier il se remit en marche.

La bataille de Pont-Noyelles ne fut pas, comme on l’a dit et comme on l’a cru sur le moment, une grande victoire ; mais ce fut un échec complet pour l’ennemi, qui était venu se briser contre nos positions, et, si elle n’a donné que des résultats négatifs, elle n’en tiendra pas moins une belle page dans l’histoire de cette rude et vaillante campagne du nord, qu’on peut appeler une campagne de Russie sous le climat de la France.