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l’échafaud, et c’est de là que le maréchal de Mailly, qui avait dirigé la défense du château des Tuileries au 10 août, le prince Claude-Victor de Broglie, député aux états-généraux et président de l’assemblée nationale en 1791, furent conduits à Arras pour être livrés aux bourreaux de Joseph Le Bon. Pendant les guerres de l’empire, la citadelle fut occupée par des prisonniers anglais et espagnols, et sous Louis-Philippe par quelques-uns des incorrigibles conspirateurs qui ont ensanglanté Paris dans les journées de juin 1832, d’avril 1834, de mai 1839, et remis en faveur la légende jacobine, dont ils ont été les premières victimes.

Doullens était au moyen âge une ville drapante d’une certaine importance ; c’était aussi, comme Amiens, une ville littéraire. Poètes ou ménestrels, le sire des Auteux, le sire de Bretel, Gilbert de Bernaville, Ducastel, Cuvillier et Bellepache, y avaient formé au XIIIe siècle une académie qui tenait ses séances dans la rue de l’Arbre des amoureux[1] ; cette académie luttait avec honneur dans les concours ouverts par les Chambres de rhétorique de l’Artois et de la Flandre ; mais à Doullens, comme dans les autres localités du nord, la poésie a subi la même loi de décadence que les franchises municipales. Les muses doullenaises ont déserté le parnasse picard, et depuis deux siècles elles n’ont chanté que deux fois pour célébrer le Bonheur de la vie domestique et le Voyage de Charles X au camp de Saint-Omer. Aujourd’hui Doullens attend un embranchement de chemin de fer : il fait un commerce fort actif de bestiaux et de graines oléagineuses, file du coton, fabrique du papier et des toiles d’emballage ; il ne compte qu’un très petit nombre d’abonnés aux feuilles radicales de la Somme ; son ambition se borne à vivre tranquille en travaillant, et la France, serait plus heureuse et plus puissante, si tous nos grands centres avaient la même sagesse.

Montdidier est, comme Doullens, une ville de calme et de silence ; il est bâti sur les flancs d’une butte calcaire au pied de laquelle serpente, dans une étroite vallée, l’homonyme d’un grand fleuve, la petite rivière dlu Don, que le nain vert chanté par Hégésippe Moreau pourrait franchir d’un bond, comme la Voulzie, sans mouiller ses grelots. Là s’élevait en 774 un de ces châteaux circulaires dont un miniaturiste du Xe siècle, Heldric, abbé de Saint-Germain d’Auxerre, nous a laissé la curieuse représentation[2]. Charlemagne y fit enfermer Didier, roi des Lombards, qu’il avait

  1. Le président Fauchet nous a conservé l’analyse des œuvres de l’académie doullenaise dans le Recueil des origines de la langue et de la poésie française, publié en 1581.
  2. Cette représentation se trouve dans les Commentaires d’Haymon, évéque d’Halberstadt, sur Ezéchiel, Bibliothèque nationale, n° 303 du fonds latin de Saint-Germain.