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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/848

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résolut de former dans cette ville le noyau d’une armée qui eût été, dit le Moniteur de Gand, moins exposée à la séduction. Le duc d’Orléans, depuis Louis-Philippe, et le duc de Trévise furent chargés de l’organiser ; mais Napoléon marcha si vite qu’il entrait aux Tuileries avant qu’ils ne fussent arrivés à Péronne. Trois mois plus tard, les Anglais, se dirigeant de Waterloo sur Paris, se présentaient devant la place, et Wellington en examinait les approches, lorsqu’un boulet lancé des remparts vint frapper à ses pieds et le couvrir de terre. Ce boulet fut le dernier qui ait été tiré en 1815 par une ville française contre les armées étrangères, et dans notre imprévoyante confiance, dans l’aveuglement où nous avaient plongés les utopies humanitaires, nous avons cru que le canon s’était tu pour toujours dans cette fraîche et verte vallée de la Somme, dont il avait tant de fois fait trembler les échos. Un fort sur le mont Saint-Quentin, quelques redoutes dominant les revers des coteaux qui font face aux remparts, auraient transformé Péronne en une forteresse de premier ordre ; mais rien ne s’est fait, et l’invasion de 1870 l’a trouvée désarmée et offerte comme une cible aux coups de l’ennemi[1].

Quelques travaux avaient été commencés dès le mois d’août 1870, mais ces travaux étaient complètement insignifians ; des canons furent en vain demandés aux arsenaux voisins. On ne fit pas sortir les femmes, les enfans, les vieillards ; les casemates ne furent sur aucun point mises en état d’offrir un refuge aux habitans ; l’établissement de redoutes sur les hauteurs en avant de la place fut négligé malgré les demandes réitérées de la presse locale ; enfin, au lieu de quatre-vingt-huit pièces d’artillerie que comportait le simple armement de sûreté, la ville n’en possédait que quarante-neuf, dont quinze seulement étaient rayées, y compris deux pièces de marine de 30. Ses munitions consistaient en 20,000 projectiles pleins ou creux, 750,000 cartouches et 36,000 kilogrammes de poudre. La garnison comptait 3,500 hommes, mais il ne s’y trouvait en fait de troupes de ligne qu’une seule compagnie du 43e et la 5e compagnie du 1er bataillon des fusiliers-marins de Brest. Le reste se composait de la garde nationale sédentaire, de mobiles et de mobilisés. L’ennemi se présenta devant la place avec dix bataillons, huit escadrons et cinquante-quatre pièces de campagne ; ces forces étaient

  1. Les détails que nous donnons ici sont tous extraits de documens authentiques. Nous devons particulièrement remercier M. Caraby, qui prépare en ce moment une relation du siège, et M. Ramon, qui a bien voulu nous communiquer avant l’impression le manuscrit du journal qu’il a tenu jour par jour, et qui formera le tome, deuxième de sa précieuse publication, que nous avons déjà citée, l’Invasion en Picardie, etc., Péronne 1873, in-8o. Il serait important que sur tous les points de la France on recueillit avec le même soin les souvenirs de la guerre allemande.