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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/854

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Aujourd’hui, en parcourant les rues de Péronne, en voyant ces maisons neuves et coquettes, ces magasins élégans, où s’étalent toutes les commodités de la vie, cette église de Saint-Jean aux verrières étincelantes, aux voûtes peintes et dorées, on ne peut croire que 30,000 projectiles se sont abattus, il n’y a pas encore trois ans, sur cette sœur désolée de Strasbourg et de Mézières. Pendant l’occupation, les Prussiens ne pouvaient comprendre que le petit Paris, — c’était le nom qu’ils avaient donné à Péronne à cause de sa résistance, — ait pu sortir comme par enchantement des ruines autour desquelles ils avaient dansé. A part deux ou trois masures effondrées auprès de l’une des portes, il ne reste en souvenir des jours de lutte et de deuil que les deux pièces de marine que les Prussiens ont dédaigné d’emporter, attendu qu’elles sont en fonte et que la fonte est sans valeur. L’une de ces pièces, que l’on peut appeler les héroïnes du siège, est restée sur son affût enclouée et chargée jusqu’à la gueule par les vaillans marins qui l’ont servie ; l’autre est à demi enterrée sous les débris de son gabionnage, et au pied de la plate-forme on lit sur une croix faite d’obus et de bombes : « Delpas, fusilier-marin, 28 décembre 1870. » Le fusilier-marin était l’habile pointeur, mort trop tôt pour la défense, qui démonta la première pièce que les Allemands aient essayé de mettre en batterie.


V. — LES DERNIERS JOURS DE L’ARMEE DU NORD. — SAINT-QUENTIN.

L’armée du nord, nous venons de le voir, s’était repliée sur Arras après la bataille de Bapaume ; mais cette bataille ne fut pas moins une victoire complète. Quelques corps prussiens se retirèrent dans le plus bel ordre, sans laisser un seul traînard derrière eux, tandis que d’autres, en plus grand nombre, allaient à la débandade. Les habitans de Leforest, Fricourt, Suzanne, Assevillers et autres communes situées sur leur passage s’accordent tous à dire que les routes étaient encombrées de fuyards, de voitures chargées de fusils et de casques, de fantassins qui conduisaient par la bride des chevaux sans cavaliers, de chevaux sur lesquels étaient attachés des morts. Les soldats étaient profondément abattus ; les officiers avaient perdu leur morgue et causaient volontiers avec les habitans. « Méchante Bapaume, disait l’un d’eux, nous beaucoup capout. — M. Faidherbe, grand stratégiste, » disait un autre. Quant aux généraux, malgré l’échec qu’ils venaient d’éprouver, ils connaissaient trop bien leurs ressources et les nôtres pour désespérer du succès final. Le général de Goeben, en rentrant la nuit à Combles, chez son hôte, qu’il avait quitté le matin, lui dit avec le plus grand calme : « Aujourd’hui combat sanglant,… oui, sanglant ; mais demain