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mise à divaguer, suivant l’heureuse expression de M. Surell[1], rongeant ici, remblayant plus loin, entraînant de çà et de là des bancs de gravier qui voyagent avec les eaux jusqu’aux endroits où la lenteur du courant leur permet de se déposer de nouveau. Les ingénieurs ont appris par là qu’il faut troubler le moins possible le tracé capricieux qu’une rivière s’impose à elle-même et que le temps a consacré. Prétendre élargir le lit ou rectifier les berges est une entreprise téméraire dont les riverains situés en aval éprouvent toujours le contre-coup. Toutefois ce qui arrive rarement de nos jours, dans nos contrées du moins, était sans doute plus fréquent aux époques reculées où les eaux, descendant en cascades des montagnes, n’avaient pas encore acquis leur régime normal; c’est alors que se sont entassés dans les creux ces bancs épais d’alluvion au milieu desquels les rivières se sont ouvert un lit définitif.

On le comprend, les limons et les graviers sont composés d’autres élémens que le sous-sol qu’ils recouvrent. Ainsi les plaines du terrain crétacé sont formées en majeure partie des débris de calcaires jurassiques. Au contraire la terre arable qui recouvre les plateaux que les eaux ne pouvaient atteindre a même composition que le sous-sol, sauf les modifications produites par la gelée, par l’atmosphère, par la culture elle-même ou la végétation, en une longue série de siècles. Les terrains hauts de la craie et de l’oolithe ne contenaient pas d’élémens assez variés, ou bien ils ont trop bien résisté à ce travail de décomposition naturelle. La couche terreuse y est mince, les récoltes y sont médiocres; le lias et les terrains tertiaires se sont transformés avec plus de succès; la terre y est plus féconde. Au reste on peut admettre que les eaux diluviennes ont couvert dans les temps anciens nos plateaux les plus élevés, et y ont laissé, sauf sur les pentes trop abruptes, une boue fertilisante. Le sol actuel est donc le produit d’un long travail de la nature.

Mais le point important à noter est que ce travail de la nature n’a pas donné partout un résultat uniforme. Si la qualité de la terre arable dépend de l’épaisseur plus ou moins grande du dépôt diluvien ou alluvionnaire qui s’y est entassé, elle dépend plus encore du sol primitif et même du sous-sol géologique. Il n’y a pas en France de cantons plus fertiles que la partie septentrionale du bassin de la Seine où le limon a recouvert un sol absorbant ; c’est là que prospèrent les fructueuses cultures industrielles, la betterave, le lin, le colza. Ce sol perméable est un drainage naturel qui enlève l’excès d’humidité nuisible à la végétation. La Brie, dont le sous-sol est imperméable et dont la superficie est également limoneuse, n’a pu atteindre ce degré de richesse que par des travaux d’assai-

  1. Voyez, dans la Revue du Ier juin 1872, les Torrens des Alpes.