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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/884

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La porte s’ouvrit, Vladimir entra. Elle rougit, ferma sa kazabaïka et lui tendit la main.

― Où est M. Mihaël ? demanda-t-il.

― A Kolomea.

― Alors je...

― Vous ne vous en irez pas ainsi ? ― Vladimir hésitait. ― Depuis ce matin, je vous attends, dit-elle d’une voix oppressée. Je vous en prie, restez.

Vladimir déposa sa casquette sur le piano, et prit l’un des petits fauteuils bruns. Olga fit encore quelques pas, puis tout à coup elle s’arrêta devant lui, et à brûle-pourpoint : ― Avez-vous jamais aimé ? demanda-t-elle d’une voix brève, saccadée. Oui, n’est-ce pas ? ― Un sourire ironique plissa ses lèvres.

― Non, répondit-il gravement.

Olga le considéra, surprise. ― Et pourriez-vous aimer ? dit-elle enfin avec hésitation. Je ne le crois pas.

― Vous vous trompez encore. Les hommes comme moi, qui ne se sont point dépensés en petite monnaie, sont peut-être seuls capables d’un amour vrai. Peut-on demander cette chose à ces pommes vertes de dix-huit ans ? Il n’y a qu’un homme qui en soit capable... et une femme peut-être, si elle n’a pas déjà gaspillé son cœur...

― Et comment devrait être la femme que vous pourriez aimer ? ― Vladimir garda le silence. ― Cela m’intéresse au dernier point.

― Il faut que je réponde ?

― Je vous en prie.

― Eh bien ! elle devrait être tout le contraire de vous, dit-il tout bas.

Olga pâlit, puis rougit coup sur coup, et les larmes lui vinrent aux yeux. Elle baissa la tête.

― Cela ne vous fait pas rire ? dit Vladimir tristement.

― Vous n’êtes guère poli, répliqua-t-elle d’une voix étouffée par les larmes.

― Je suis sincère.

― Vous me détestez, reprit-elle en relevant la tête par un mouvement d’orgueil blessé ; il y a longtemps que je m’en aperçois.

Vladimir eut un rire bref, rauque, douloureux. ― Sachez donc la vérité, s’écria-t-il avec amertume ; ce que je sens pour vous, aucune femme ne me l’a fait éprouver. ― Olga le regarda, interdite ; son cœur battait à l’étouffer, le sang bourdonnait dans ses oreilles. ― Je pourrais vous aimer, ajouta-t-il d’un ton presque tendre...

― Alors vous m’aimez.

― Non ; il faudrait vous estimer. ― A un geste d’Olga : ― Je vous en prie, dit-il, ne vous méprenez pas sur ma pensée. Je ne