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Olga tressaillit sous ces paroles : ses yeux demandaient grâce.

― Ne me regardez pas ainsi, s’écria-t-il. Il ne m’est pas permis de vous ménager. Je n’aurai point pitié de vous. En avez-vous eu pour le jeune Bogdan, que le seigneur de Zavale a tué en duel dans le bois de Toulava à cause de vous ? ou pour Démétrius Litvine, qui s’est brûlé la cervelle pour vous ? Avez-vous eu pitié de vos enfants, de votre mari, le jour où vous avez permis au comte Zawadski de vous faire la cour, où vous avez autorisé...

― De quoi m’accusez-vous là ? s’écria Olga en bondissant de son fauteuil, épouvantée, se tordant les mains. Qui a pu dire ces choses-là de moi ?

― Tout le monde les dit, repartit Vladimir avec un mépris à peine déguisé.

― Eh bien, le monde en a menti, dit-elle avec force, la tête haute. ― Ses yeux brillaient, ses joues s’étaient colorées. ― Et moi, Vladimir, je dis la vérité. Je suis innocente du sang de ces hommes ; pas une goutte ne retombe sur moi.

― Ne cherchez pas à me convaincre, reprit-il d’un ton pénible, je ne puis pas vous croire.

Olga arrêta sur lui un long regard de douleur et d’amour, puis, les yeux secs, le front baissé, elle alla prendre dans son boudoir un paquet noué d’une faveur rose. ― Croirez-vous ces lettres ? dit-elle à Vladimir, qui l’avait suivie.

― Votre mari peut revenir d’un instant à l’autre, fit celui-ci avec inquiétude.

― Qu’il vienne, répliqua-t-elle ; je ne souffrirai pas qu’on m’insulte. Vous allez m’écouter, ensuite vous jugerez. Voici un billet de Litvine écrit deux jours avant sa mort. Est-ce là le langage d’un homme qui va se tuer pour un chagrin d’amour ?

Elle jeta le pli sur la table avec dédain. Vladimir le prit et le parcourut avec une hâte fiévreuse. ― Voici des lettres de Bogdan ; lisez-les. Est-ce là un amant s’adressant à une femme pour laquelle il va donner sa vie ? Litvine s’est brûlé la cervelle parce qu’il avait plus de dettes que de biens. Bogdan s’est battu avec le seigneur de Zavale à la suite d’une querelle de jeu. Voici encore des lettres de M. de Zawadski, du comte Mnischeli, de tous les autres qui me poursuivent de leurs assiduités. Est-ce ainsi que s’expriment des amants ? Je suis une coquette, soit, ma vanité est sensible aux hommages ; je ne suis pas une femme perdue. Je n’ai jamais failli, je le jure... Elle se tourna vers le crucifix accroché au-dessus de son lit, parut hésiter, puis d’un ton ferme : ― Non, dit-elle, je le jure sur la tête de mes enfants. Maintenant vous savez tout ; vous pouvez m’accabler.

Vladimir regardait toujours les lettres avec une stupéfaction