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Une si grande entreprise, est-il besoin de le dire, ne saurait nous convenir. Il y faut une envergure qui n’est point la nôtre ; devant ces fiers travaux d’ensemble, attrait et souvent aussi péril des forts, notre faiblesse reculerait. Heureusement que dans l’œuvre des grands écrivains il y a, comme dans le royaume de Dieu, plus d’une province. Voltaire est un monde, soit, mais qu’on peut aborder par bien des côtés sans être obligé d’en faire le tour. Lord Brougham, s’installant à Cirey et s’y tenant, nous l’a montré jadis traduisant et commentant Locke et Newton ; pourquoi ne tenterions-nous pas aujourd’hui de nous donner le spectacle de son commerce avec Shakspeare ? La comédie en a séduit plus d’un : en Angleterre lord John Russell, en Allemagne M. Alex. Schmidt, M. Elze, sans parler de ces hommes illustres qui, dès le commencement du siècle, répandaient sur toutes ces questions de littérature et de philosophie internationales des clartés générales dont il faut encore de nos jours s’aider pour aller au particulier. N’écrivons pas l’histoire de Voltaire, esquissons modestement l’histoire de ses variations. « Fragilité, ton nom est femme ! » Combien souvent il est homme aussi et grand homme, ce nom de l’inconséquence et de la contradiction ! Voltaire a donné là-dessus les plus détestables exemples à notre âge. C’est de lui que nous vient directement cette critique du bon plaisir, du pur caprice et de l’intérêt personnel qui tient quittes l’esprit et le talent de toute espèce de principes et de sens moral. Système dangereux, dissolvant, contre lequel avaient superbement réagi les maîtres idéalistes du temps de la restauration, et que l’introduction du feuilletonisme dans ces questions d’histoire et de haute critique, le lundinisme a remis en vigueur ! Rien de plus amusant, de plus captieux sans doute que ces dissertations à double face périodiquement ramenées à distance, et dont le thème finirait par s’épuiser, si l’on ne s’ingéniait à l’égayer par mille variations chromatiques exécutées à souhait pour le simple régal de l’amateur désœuvré. Après vous avoir montré l’endroit de l’étoffe, on vous en montre le revers, si bien que vous ne savez plus à la longue distinguer le revers de l’endroit, et que vous arrivez à douter qu’il y ait jamais eu d’étoffe autre part que dans l’imagination du critique. Ce que pensaient, il y a trente ans, des hommes comme MM. Guizot, Cousin et Villemain sur tel ou tel poète ancien ou moderne, français ou étranger, on peut se dire que leurs derniers ouvrages ne le démentiront pas radicalement. Leur type du beau, du bien, du vrai, n’a point changé. Ils admirent ce qu’ils admiraient, renient ce qu’ils ont renié, sont ce qu’ils furent. Ils ignorent ces façons de se déjuger qui passent pour des tours d’esprit aux yeux d’un certain dilettantisme dont la principale affaire est d’être