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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/986

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REVUE MUSICALE.


L’Africaine fut représentée pour la première fois en 1865, environ un an après la mort de Meyerbeer. Dire que l’exécution, à laquelle nous assistâmes à cette époque, réalisait la perfection serait beaucoup. Il n’en est pas moins vrai que ce premier ensemble fut le meilleur qu’il nous ait été donné d’entendre. Meyerbeer, sans doute, n’était plus là pour présenter son œuvre au public ; mais il avait tout prévu, pourvu à tout avec le zèle d’un fondateur de dynastie qui ne veut pas quitter le trône sans avoir assuré la transmission directe. Tous les sujets d’une troupe admirablement ordonnée figuraient à leur poste : Mme Sasse, Mlle Battu, M. Obin, M. Faure, alors en pleine maturité, en plein éclat de l’âge et du talent, M. Naudin, comédien ridicule et très capricieux chanteur, mais dont la voix avait par rencontres des suavités exquises. C’était uniquement pour son duo du quatrième acte que Meyerbeer en délicat l’avait choisi, et certes la valeur du morceau justifiait une telle préoccupation. Cette scène entre Vasco et Sélika, si elle n’égale le duo de Valentine et de Raoul, y touche de bien près. Le duo des Huguenots est plus dramatique ; l’ivresse des sens et les épouvantes de la mort y forment un conflit sublime ; dans le duo de Vasco et de Sélika, c’est l’amour, l’amour seul qui s’exhale et se répand, doux, tendre, passionné, voluptueux jusqu’à l’extase ! Le premier de ces deux splendides morceaux me représente un acte de tragédie, l’autre un chant de poème érotique, le quatrième livre d’une Enéide romantique. Cette note de vibrante et délirante volupté, nul avant Meyerbeer ne l’avait touchée ; c’est bien là sa découverte, son nouveau monde à lui. Et quel délicieux complément du tableau, quand le chœur des jeunes Indiennes survenant enveloppe le couple heureux de son mélodieux susurrement, plus léger que la gaze de ses voiles !

A propos d’analogies, on en trouverait bon nombre encore dans cette partition. J’ai dit les rapports entre les deux duos des Huguenots et de l’Africaine ; veut-on d’autres affinités, songeons au quatrième acte du Prophète et comparons la scène de la cathédrale à la grande scène des brahmines ; dans la disposition des masses chorales, comme dans la situation, identité partout. D’un côté, ce Jean de Leyde, sous le poignard des trois anabaptistes, suppliant sa mère du regard, — de l’autre, cette reine dont la vie est entre les mains de Nélusko, qui, pareil à Fidès, se sacrifie pour obéir à l’imploration muette qu’on lui fait en présence de tout un peuple menaçant. Rien ne fait juger un ouvrage comme ces reprises, si rapprochées d’ailleurs qu’elles soient. Vous croyez venir pour le chanteur, et c’est la musique qui vous ressaisit. Dès qu’une partition se